Gabriel Diss, conservateur du Musée départemental Georges-de-La Tour à Vic-sur-Seille (Moselle), présente Tête de Femme, de Georges de La Tour (Vic-sur-Seille, 1593-Lunéville,1652).
Cette Tête de femme de profil était l’une des dernières œuvres autographes connues de Georges de La Tour à se trouver encore dans une collection privée. Issue de la collection Fischmann à Munich, elle a été identifiée par Vitale Bloch qui la publia dès 1930 dans la revue Formes. Pierre Landry, autre « redécouvreur » de Georges de La Tour (c’est lui qui céda Le Tricheur à l’as de carreau au Louvre en 1972) l’acquit en 1945. Mise en vente en 2004 par les héritiers de cette famille chez Christie’s France, elle fut achetée par le conseil général de la Moselle le 24 juin pour le compte du Musée Georges-de-La Tour.
En 1948, François-Georges Pariset émit le premier l’hypothèse que ce fragment pouvait être la tête de sainte Anne dans une Nativité ou une Éducation de la Vierge. Il la compara fort judicieusement au profil de la femme âgée du Nouveau-Né du Musée des beaux-arts de Rennes – qu’il datait vers 1630 –, pour situer le fragment qui nous concerne relativement tôt dans l’œuvre du peintre. Mais en 1972, les historiens de l’art Jacques Thuillier et Pierre Rosenberg le rapprochèrent de la gravure Les Veilleuses (Bibliothèque nationale de France, Paris), sans doute exécutée d’après un original aujourd’hui disparu de La Tour, et proposèrent une datation plus tardive, autour de 1644. Ils le mirent ainsi en parallèle de L’Adoration des bergers du Louvre et des œuvres de maturité caractérisées par l’absence de rouge franc et une forme de « stylisation autoritaire ». Dans le catalogue de l’exposition consacrée à Georges de La Tour en 1997 au Grand Palais, à Paris, Jean-Pierre Cuzin écrit : « Il ne s’agit que d’un fragment, mais indiscutablement original et de la plus belle qualité. » En soulignant la « fluidité des lignes », le conservateur général au Louvre observe le « souci de dignité et de tension formelle », ainsi que la « grâce modeste et méditative » qui s’en dégagent. Lui aussi propose une datation tardive entre 1646 et 1648. En 1992, Jacques Thuillier, constatant des incohérences dans le support, souhaita pour une meilleure compréhension de l’œuvre que l’on puisse procéder à une analyse de laboratoire plus poussée.
Histoire mouvementée
Cette analyse est réalisée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France à la demande, en mai 2004, de Sylvain Laveissière, conservateur en chef au Louvre. L’image radiographique confirme les soupçons de Jacques Thuillier et permet de conclure que l’œuvre a été transposée de sa toile d’origine sur une autre toile. Elle dévoile en outre une discontinuité en biais peu perceptible à la lumière rasante au niveau supérieur de la coiffe, révélant que l’œuvre est un assemblage de deux parties de toile de densité et de tissage similaires. Cet état est ancien et antérieur à la transposition. L’absence de guirlandes de tension sur la périphérie corrobore l’hypothèse que nous sommes en présence d’un fragment de peinture. La couche picturale est très contrastée. La préparation superficielle est de couleur grise assez soutenue. Les lacunes importantes de matière picturale, notamment dans la partie supérieure de la coiffe, et les manques perceptibles dans l’ensemble du tableau sont la cause de plusieurs campagnes de restauration. L’une, ancienne, près de l’œil, a été effectuée en utilisant des matériaux broyés manuellement ; une autre, d’aspect plus gélatineuse, est particulièrement visible sur la gorge et les bretelles du vêtement. Le réseau de craquelures encore visible sur le cliché du catalogue de 1997 a été masqué récemment. Toutefois, ces diverses restaurations laissent transparaître une préparation compatible avec les pratiques et le métier de Georges de La Tour ainsi qu’une matière originale de très belle qualité qui présente toutes les caractéristiques du peintre lorrain comme l’utilisation du vermillon et du noir d’os pour les fonds sombres.
En conclusion, malgré les nombreuses interventions, parfois radicales, rien dans l’analyse de laboratoire ne vient infirmer le travail des historiens de l’art et ne met en cause le caractère original de ce fragment d’œuvre, qui garde cependant les cicatrices d’une histoire fort mouvementée. L’examen suggère une parenté d’exécution technique avec le Nouveau-Né de Rennes, plaçant sa production entre celle-ci et L’Adoration des bergers du Louvre, c’est-à-dire entre 1645 et 1648 si l’on considère une large fourchette. L’analyse ne nous donne en revanche aucun élément permettant de comprendre les causes de la mutilation du tableau.
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Gabriel Diss
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Gabriel Diss