Urbanisme

Comprendre l’art des cabanes

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 27 juin 2019 - 1144 mots

En écho aux jeux enfantins, à l’imaginaire du recyclage, au retour à la nature…, la fascination des artistes pour la cabane prend de multiples formes. Explications avec six études de cas.

1. La cabane mémoire d’Agnès Varda

Ode à l’art du recyclage, la Serre du bonheur d’Agnès Varda redonne vie à un matériau délaissé, la pellicule 35 mm. Toute de métal et de plastique, abritant quelques faux tournesols, la maisonnette est à découvrir à Chaumont-sur-Loire. Les 2 159 m de pellicules du film Le Bonheur (1964) se déploient sur l’ensemble de la structure métallique. En s’approchant des fines parois de celluloïd, on peut découvrir les 24 visages seconde des deux protagonistes : Jean-Claude Drouot et sa femme Claire. « C’est une façon de faire revivre autrement les bobines jetées, mais c’est aussi une évocation utopique du film et du cinéma », expliquait l’artiste lors de sa présentation à la Galerie Nathalie Obadia au printemps 2018. Varda confiait son bonheur de pouvoir revivre une émotion liée à un film, comme « si la vie revivait autrement ». L’artiste avait déjà présenté quelques cabanes à Paris, Lyon et Los Angeles, toutes réalisées avec des pellicules de films. Dans le jardin de la Fondation Cartier, à Paris, on peut voir une autre cabane, de planches cette fois, un mausolée de fortune pour son chat Zgougou, avec une vidéo lui rendant hommage.

www.domaine-chaumont.fr et www.fondationcartier.com

2. Les fragiles bicoques de Pedro Marzorati

Cette bicoque flottant dans les arbres semble illustrer la notion d’apesanteur. Accrochée à un imposant platane, à quatre mètres de hauteur, elle attire le regard des promeneurs du parc de la Villette avec sa toiture renversée vers le sol. Avec cette installation intitulée Wind, des habitats volés par le vent, l’artiste argentin Pedro Marzorati veut nous interpeller sur les conséquences du réchauffement climatique. Dans le cadre de l’exposition « Cabanes » (réservée aux moins de dix ans) à la Cité des sciences et de l’industrie, il a aussi construit Les Bonbonnes, un igloo en bouteilles de plastique. Formé aux Beaux-Arts de Lyon, le plasticien décline souvent le motif de la petite maison pour faire réfléchir sur la fragilité de nos habitats à l’ère de l’anthropocène. Pour le Festival du vent de Calvi, Marzorati a aussi imaginé l’installation Ciudad Silencio, un ensemble de cabanes mobiles adaptées à la montée des eaux. Posées sur la surface de la Méditerranée ou roulant sur la terre ferme, ces petites maisons aux allures de pédalos se transforment en pôles d’observation et de réflexion, innovants et éphémères.

www.cite-sciences.fr et www.lefestivaldescabanes.com/fr/
 

3. La capsule spatiale de Stéphane Thidet

Au cœur de l’exposition « La Lune » au Grand Palais, From Walden to Space invite le public à un voyage immobile, une rêverie. Le plasticien Stéphane Thidet a imaginé la collision de deux univers a priori dissemblables, celui de Henry David Thoreau, l’auteur de Walden ou La Vie dans les bois, et celui du programme spatial Mercury Seven de la Nasa dont les capsules ont transporté les premiers astronautes américains dans l’espace. Cet habitacle de fortune s’avère aussi une pièce sonore. Le panneau de commande intérieur est réalisé avec divers synthétiseurs modulaires, de fabrication artisanale. Certains passages de Walden, sélectionnés aléatoirement, sont joués, et modulés par les machines. Avec la Belle Étoile, implantée depuis 2012 dans une clairière non loin de Bordeaux, Thidet reliait déjà l’imaginaire intime de la micro-architecture à celui de l’infini de l’univers. Inspirée des tentes canadiennes, cet abri minimaliste en tôle émaillée reprend le dessin d’une d’étoile à cinq branches. À la belle saison, on peut s’y glisser pour admirer les constellations avant de s’endormir.

lesrefuges.bordeaux-metropole.fr
 

4. Les abris sylvestres de Matali Crasset

Implantées au cœur de la Meuse, ces deux maisonnettes dans les bois, Le Nichoir et La Noisette, ont été conçues par la designer Matali Crasset pour le « Vent des forêts. » Afin de répondre à la commande – offrir une expérience de vie en pleine nature –, ces maisons sylvestres jouent sur la fluidité entre l’intérieur et l’extérieur. Pour faire la sieste tout en étant bercé par le chant des oiseaux, une nacelle est installée sur la terrasse. Les essences utilisées sont celles des forêts des environs (chêne, frêne et sapin de Douglas) et la structure en acier repose sur une seule forme unique, répliquée et déployée dans l’espace. Destinées à héberger quatre personnes, leur aménagement est sommaire : étagères et mobiliers de bois, poêle pour le chauffage et matelas au sol. Elles ne disposent pas d’électricité, et les toilettes sèches sont situées à l’extérieur. Du chaume a été retenu pour la toiture de La Noisette, récemment refaite. « Ce sont des structures légères sans fondations, indique Matali Crasset. Posées dans la forêt, elles peuvent être déplacées sans abîmer la nature ni bouleverser l’écosystème. »

ventdesforets.com
 

5. Les nids urbains de Tadashi Kawamata

Ils sont disséminés aux quatre coins de la ville de Nantes : sur une tour du château des ducs de Bretagne, au sommet du clocheton du Lieu Unique, au creux d’un arbre de la place du Bouffay, ou sur les façades de la gare ou de divers immeubles…. Les nids de planches du Japonais Tadashi Kawamata offrent une échappée poétique au beau milieu de l’environnement urbain. Comme si une nuée de grands volatiles avait pris possession de l’agglomération. À l’heure de la prise de conscience du recul accéléré de la biodiversité et de la disparition des oiseaux de nos campagnes, cette installation peut être interprétée comme un signal, la nécessité d’une prise de conscience écologique. À propos de précédents nids installés au cœur du Marais parisien, l’artiste faisait aussi référence aux favelas des villes latino-américaines. Ni vraiment architecte, ni complètement sculpteur, Tadashi Kawamata se situe dans une sorte d’entre-deux ; à l’image de ses assemblages sommaires de planches. Ces constructions poétiques sont ouvertes aux interprétations multiples.

www.levoyageanantes.fr
 

6. La cabane paysage de Sara Favriau

Posée sur pilotis, La Convoitise de Sara Favriau est installée dans les jardins du MacVal à Vitry. Elle est constituée de tasseaux de bois de Douglas et entourée d’une passerelle. Par la superposition et l’entrecroisement des tasseaux, les parois de la construction apparaissent très ajourés, entre sculptures et ornements. Présentée une première fois en 2016 au Palais de Tokyo, avec cinq huttes reliées par une passerelle, l’œuvre s’apparente alors à un paysage observable à distance. En s’approchant des constructions, celles-ci se révèlent des écrins pour une sélection d’œuvres choisies par l’artiste. L’installation constituait à la fois une œuvre et un support d’exposition. « Je travaille autour de l’extérieur et de l’intérieur de l’œuvre », explique la plasticienne. « La sculpture n’est pas seulement un volume, elle est aussi un vide prêt à recevoir. » Et en imposant des points de vue contraints, l’artiste déclare vouloir jouer aussi avec la « frustration » du spectateur. Née en 1983, Sara Favriau a remporté en 2014 le prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo, qui récompense un artiste émergent de la scène française.

www.macval.fr
 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Comprendre l’art des cabanes comprendre

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