Suisse

Christian Bernard, force et patience

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 873 mots

Le fondateur et actuel directeur du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève souffle les dix bougies de son grand projet.

On pourrait reprendre à son actif le slogan qu’avait imaginé Séguéla pour François Mitterrand en 1988, « La force tranquille », tant l’homme en impose par son calme. Redoutablement séduisant aussi, tout en élégance, dépourvu du besoin viscéral de plaire de certains hommes de pouvoir, Christian Bernard impose le respect et l’admiration dès le premier contact. Dès qu’il parle, le charme intellectuel opère car le discours est brillant par sa clarté, sa précision, sa simplicité ; un traitement qu’il ne réserve pas seulement à la presse mais à chacun de ses interlocuteurs. Il s’agit certainement d’une des clés de la reconnaissance dont il bénéficie tant chez les artistes contemporains que dans l’intelligentsia du monde de l’art. Encore une éminence grise et une vraie personnalité que l’on a laissé partir chez nos voisins francophones, à l’instar de Marie-Claude Beaud à Luxembourg (cf. L’Œil n° 559) et de Jean-Hubert Martin, expatrié au Kunstpalast de Düsseldorf, étouffés par le poids de la bureaucratie française et des pressions politiques, attirés sans doute aussi par une plus grande liberté budgétaire. D’ailleurs lorsqu’il regarde la situation hexagonale, il déplore qu’« entre les musées d’architectes et ceux des politiques inadaptés, cela met beaucoup de gens biens en difficulté » et, hors micro, les noms fusent. Lorsqu’on aborde l’actuel jeu de chaises musicales entre les centres d’art et les Frac, il émet avec justesse un regret en forme de mise en garde : « Les choses marchent quand les gens les incarnent dans la durée… ce n’est pas en restant à peine cinq ans quelque part, qu’on y arrive. » Il connaît trop bien les demandes de programmations « paillettes » autour d’un événementiel, pour finir par ne construire qu’un palmarès. « Au Mamco, on n’a pas besoin de courir après le name-dropping pour exister », le suivi des artistes est une priorité, quitte à esquiver les modes et les tendances sans pour autant être ringard. C’est là que l’homme force le respect. Il a mis en place une politique de récurrence exigeante, une position qu’il qualifie de « gratuite », « à contre-courant des habituels turn-over de musées ». Une fidélité anti-nostalgique qui vient de l’époque glorieuse de la villa Arson à Nice. De 1986 à 1994, il fait de ce laboratoire unique – à la fois centre d’art, école et lieu de résidence –, un pôle d’attraction majeur et un vivier d’artistes pour beaucoup devenus des valeurs sûres du marché, de Tatiana Trouvé à Philippe Ramette. Cette période Christian Bernard la qualifie de « moment miraculeux ». On le comprend lorsqu’on regarde la liste de ses invités : Mosset, Kippenberger, Parmiggiani, Walther, Aubry, Blanckart, Yan Pei-Ming, Rockenschaub, Dominique Gonzalez-Foerster… Des noms que l’on retrouve disséminés parmi les deux cent cinquante expositions montées en dix ans à Genève.

De beaux morceaux d’anthologie
Lorsqu’on lui demande quelle satisfaction particulière lui a apporté ce musée monté de toutes pièces, il se réjouit d’avoir évité toute hiérarchisation entre les collections et les expositions temporaires, et d’avoir offert de beaux morceaux d’anthologie à Shaw, Lavier, Fleury, Armleder ou Oppenheim. L’institution est aujourd’hui à un tournant de son existence. D’ici quelques semaines, cette fondation de droit privé deviendra musée public et passera sous une tutelle mixte, cantonale et municipale. Une phase de transmission, de pérennisation qui se ressent dans les projets éditoriaux comme ceux plus personnels de son directeur. Parmi la trentaine de livres en préparation, les écrits d’Olivier Mosset et de Peter Hutchison, les monographies de Guy de Cointet et Kippenberger, une anthologie de textes sur la science-fiction et ses connexions avec la création artistique et surtout, le MAMCOllector, véritable encyclopédie sur papier et DVDRom passant au crible l’histoire de chaque mur du musée sur dix ans. L’homme calme mais pressé avoue qu’il voudrait se poser un peu, pour écrire les livres dont il rêve. Nous aussi, on aimerait qu’il les rédige. Pour l’instant, la transmission est orale, théorique, dans des cours qu’il donne un peu partout. Un besoin de transmettre qui laisse un peu perplexe et fait craindre son départ du Mamco d’autant que l’homme prépare sa succession, « le plus difficile sera de rendre la suite possible de manière organique… ce musée me survivra ». Mais il n’en est pas encore question car la scène artistique et critique de Genève s’agite, stimulée par l’entente cordiale établie entre les institutions de la ville, l’école des Beaux-Arts nouvellement dirigée par le Strasbourgeois Jean-Pierre Greff et l’université rajeunie. Une effervescence créatrice que Christian Bernard attend sans pour autant délaisser les enfants de sa mère patrie qu’il observe d’un œil un peu inquiet : « Aujourd’hui, à qualités équivalentes, un artiste français est pénalisé à 50 % par sa nationalité, ce n’est pas normal. » Certes, mais ce fervent ambassadeur et supporteur de la scène hexagonale ne peut faire pencher seul la balance. À moins qu’il ne vienne infiltrer le système pour s’employer à fissurer sa force d’inertie. La lenteur suisse est synonyme ici de patience.

« Mille et trois plateaux, premier épisode : Constellations », GENÈVE, Mamco, 10 rue des Vieux Grenadiers, tél. 41 22 320 61 22, www.mamco.ch jusqu’au 16 janvier 2005.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Christian Bernard, force et patience

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