Bruno Gironcoli

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 614 mots

Alors qu’une grande cavalcade de ses sculptures monumentales est actuellement exposée dans le cadre du Printemps de septembre à Toulouse, et que le galeriste parisien Bernard Jordan lui consacre une présentation personnelle cet automne, l’artiste autrichien, figure fort reconnue dans son pays d’origine – l’Autriche lui consacra son pavillon en 2003 à la Biennale de Venise – et en Suisse, reste encore bien trop méconnu en France.

Et pour cause, Bruno Gironcoli (1936-2010) s’est tenu à distance du marché pour se consacrer pleinement à son travail et à l’enseignement. Il remplaça Fritz Wotruba en tant que professeur à l’Académie des beaux-arts de Vienne en 1977. Pourtant, son influence demeure considérable, non seulement chez certains de ses étudiants devenus illustres tels Franz West (actuellement présenté au Centre Pompidou), Ugo Rondinone, Michael Kienzer ou Heimo Zobernig, mais aussi chez nombre de plasticiens revendiquant son héritage, de Bertrand Dezoteux à Lili Reynaud-Dewar, en passant par le duo déjanté Hippolyte Hentgen, également montré au Printemps de septembre.
 

L’ovni Gironcoli

Si Gironcoli n’est, en France, pas encore reconnu à sa juste valeur, ce n’est pourtant pas faute d’avoir été présent dans l’Hexagone. Les musées nationaux l’ont boudé et le boudent encore – on ne recense qu’une œuvre de lui dans une institution publique, au Fnac –, ses sculptures rétrofuturistes hybrides, fusionnant organique et mécanique et se nourrissant de champs disciplinaires divers, ont été montrées chez Bernard Jordan, qui l’expose depuis 1995, mais aussi lors des « Champs de la sculpture » en 1999 et à la Biennale de Lyon en 2004. C’est d’ailleurs au sein d’une biennale voisine que l’artiste émergent Bertrand Dezoteux, qui a montré en 2017 au Palais de Tokyo un délirant film 3D inspiré de l’univers surréaliste de Bruno Gironcoli, a découvert ce sculpteur hors norme qui échappe aux étiquetages et aux mouvements artistiques contemporains des années 1960 (actionnisme viennois, art conceptuel et minimalisme). « J’ai découvert l’œuvre de Gironcoli à la Biennale de Venise en 2003. Ça a été un choc ! Pour l’exposition “Le rêve des formes“ au Palais de Tokyo, je réfléchissais à une manière de représenter un monde à la croisée du biologique et du mécanique pour réaliser un film d’animation, Super-règne. C’est là que je me suis souvenu de Gironcoli. Ses sculptures automatisent le vivant d’une manière étrange et inquiétante. Ses moissonneuses extraterrestres conjuguent et arrangent différentes fonctions de l’ensemencement : combinaisons de lames, de peignes, de bébés aliens, de grappes de raisin ornementales, de cornes usinées, de pièces torsadées et pointues, d’appareillages agricoles hermétiques, d’abat-jour autoritaires, de rouages gravés d’épis de blé, de boutons d’edelweiss. »

Au couvent des Jacobins, à Toulouse, face aux gigantesques appareillages étincelants de Gironcoli – ce sculpteur réalisait des maquettes grandeur nature en plâtre ou en polyester, peintes couleur argent ou bronze doré, afin de donner l’illusion de pièces fondues –, on se rend compte de la bizarrerie d’une telle œuvre, croisant art et science, Bosch et Giger. « Gironcoli, précise Hippolyte Hentgen, ouvre considérablement le champ des possibles. Ses sculptures ‌“lieux” empruntent à un registre carnavalesque et glacé, un pharaonisme de science-fiction dont la singularité nous rappelle qu’on est libre. » Nul doute que cette œuvre extrêmement singulière, qui sème bien au-delà de son propre champ, mérite un véritable coup de projecteur. Et, alors qu’un musée viennois lui consacrait encore au printemps dernier une rétrospective d’importance (« Shy at Work », au Mumok), espérons que de puissantes institutions françaises, tels le Centre Pompidou ou le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, offrent prochainement à Bruno Gironcoli la visibilité qu’il mérite.

 

1936
Naissance à Villach, en Autriche
1963
Termine ses études à l’École supérieure des arts appliqués
2004
Biennales de Venise et de Lyon
2010
Décès de Bruno Gironcoli
« Le Printemps de septembre. Fracas et frêles bruits »,
jusqu’au 21 octobre 2018. Exposition
« Bruno Gironcoli. La grande cavalcade »,
jusqu’au 6 janvier 2019. couvent des Jacobins, 1, place des Jacobins, Toulouse (31), www.printemps deseptembre.com
« Bruno Gironcoli »,
jusqu’au 13 octobre 2018, Galerie Bernard Jordan, 77, rue Charlot, Paris-3e, www.galerie bernardjordan.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Bruno Gironcoli

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