De la lomographie au sténopé, une pratique photographique archaïque et esthétisante est revendiquée par le grand public amateur.
La lomographie – d’après le nom d’une usine de mécanique et d’optique de l’ex-URSS et d’un appareil photo mis au point dans les années 1980, le Lomo LC-A – est rapidement devenue un phénomène de société mondialisé au tournant des années 2000, favorisant l’utilisation de petits appareils argentiques rudimentaires d’une grande simplicité, comme le Diana (un appareil pionnier apparu à Hong Kong dans les années 1960), le Lomo et le fameux Holga. Devant cet engouement pour la photographie « pauvre », des fabricants ont relancé leur production, suivie de l’émergence d’une nouvelle gamme d’appareils, comme l’ActionSampler, qui permet de réaliser plusieurs vues à la fois, ou le Fisheye, qui joue sur la distorsion grâce à son très grand angle.
Les images lomographiques, produites sans aucune mise au point, possèdent certaines caractéristiques qui font leur renommée : le « vignettage » aux angles de l’image, le flou et la saturation des couleurs concourent ainsi à créer des photos à l’aspect « raté » relativement séduisant. Car les images révèlent souvent des effets inattendus une fois la pellicule développée, ce qui aiguise le désir de voir, pour beaucoup disparu depuis l’avènement de la photographie numérique.
Une communauté de lomographes s’est même rapidement constituée autour du label « Lomography » qui comprend des boutiques-galeries dans les grandes capitales (dont deux à Paris), un magazine et l’organisation d’une plate-forme Internet qui coordonne des concours et permet aux photographes amateurs, via leur blog, de partager leurs images. Mais aussi de discuter de leur philosophie de vie selon le slogan : « Tout oser, ne pas penser, photographier selon l’instinct ! »
Des démarches artistiques plus construites
Mais à côté de cette tendance amateur, dont les images diffuses et esthétisantes cèdent, à de rares exceptions près, aux sirènes de l’effet sans parvenir à s’imposer sur le marché de l’art, certains artistes utilisent des procédés comparables dans des démarches plus construites. L’une des pionnières en la matière est la photographe américaine Nancy Rexroth qui a utilisé, dès les années 1970, un Diana, sa « machine à poésie », dans la série Iowa, dont les images oniriques se veulent des fragments de conscience. Plus proche de nous, José Ramón Bas, représenté par la galerie Vu’, livre lui aussi des images très sensibles qu’il réalise avec des appareils rudimentaires (notamment le Holga) au gré de ses voyages au Sénégal, à Cuba et au Brésil. Il s’agit pour l’artiste de retrouver une démarche enfantine et brute, même s’il intervient dans le rendu final de ses images en les incluant dans des blocs de résine, réalisant ainsi de véritables sculptures assez éloignées de la pauvreté de la démarche.
Dans un esprit tout différent, Miroslav Tichý, artiste tchèque, a été révélé au public français en 2008 par une exposition au Centre Pompidou. Pendant trente ans, celui-ci a bricolé des appareils photo avec des moyens extrêmement limités, à partir de bouts de ficelles et de boîtes en fer rouillées. Les images qui en sont issues, représentations fantasmatiques et fébriles de femmes dénudées, délibérément approximatives, mal exposées et rayées, mais toujours pleines de poésie, étaient estimées par la galerie Anne de Villepoix entre 6 500 et 10 000 euros lors du dernier salon Paris Photo, attestant que la pauvreté du médium ne fait pas la valeur marchande de l’œuvre. Issu de la tendance lomographique, Frédéric Lebain s’est emparé durant tout un été du geste de Tichý pour réaliser sa série au titre évocateur : Mes vacances avec Holga, travail pour lequel il a été lauréat du Prix Talent Fnac en 2000. Ses images, fugaces et tendres, sont elles aussi peuplées de jeunes femmes en maillots de bain.
Des containers en guise de camera obscura
Dans le sillage de ces images artisanales, le Stenoflex rencontre lui aussi un grand succès auprès du public : ce kit sténopé, mini-laboratoire portatif peu onéreux vendu dans les boutiques des musées, initie à la découverte ludique de l’apparition de l’image. Simple, le principe remonte aux origines de l’image fixe : un simple trou percé dans une boîte noire laisse passer la lumière qui se dépose sur une surface photosensible pour former une image. La photographie, unique, car réalisée sans pellicule, est donc obtenue sans aucun instrument d’optique.
Des artistes travaillent eux aussi à partir de ce procédé ancestral, souvent de manière spectaculaire, leurs images, réalisées avec des sténopés à grande échelle, atteignant parfois plusieurs mètres. Ainsi un imposant triptyque de Vera Lutter, artiste allemande née en 1960, était mis en vente 85 000 euros sur le stand de la galerie Xippas, à l’occasion de Paris Photo 2011, prix remarquable comparé au marché traditionnel de la photographie, mais justifiable par les dimensions exceptionnelles de l’œuvre (4,27 x 2,20 mètres) et par son caractère unique. Pour ses images, Vera Lutter utilise en guise de chambre noire des containers qu’elle place sur des chantiers et des espaces industriels, créant des paysages hors du monde. Après plusieurs heures de pose, des tableaux imprécis voient le jour, travaillant le temps et la lumière au corps à corps.
Selon un principe similaire, le duo Felten-Massinger (galerie Michèle Chomette) utilise une caravane-chambre noire, et Claire Lesteven (galerie des Filles du Calvaire) crée de splendides tableaux panoramiques de villes en perçant plusieurs trous dans des supports cylindriques, allant jusqu’à utiliser de grandes citernes. Autant d’appareils que l’on ne trouve pas commercialisés chez les photographes ou dans les boutiques de musées, mais dont le résultat est, quant à lui, exposé en galerie…
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Lomographie et sténopé, des amateurs au marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Vera Lutter, galerie Xippas, Paris : entre 40 000 et 85 000 euros.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Lomographie et sténopé, des amateurs au marché de l’art