Révélée au grand jour il y a moins de vingt ans, la grotte Chauvet, témoignage unique de l’art préhistorique, brigue son inscription à la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Visite privilégiée...
Trésor de l’art rupestre, la grotte Chauvet-Pont-d’Arc est, depuis sa découverte en 1994, mise de nouveau sur le devant de la scène. Sujet en 2011 de La Grotte des rêves perdus, film de Werner Herzog qui présente pour la première fois un panorama complet de cette cavité exceptionnelle, elle a déposé en décembre dernier son dossier de candidature pour représenter la France sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Histoire d’une découverte
Le 18 décembre 1994, trois spéléologues amateurs pénètrent dans une grotte nichée dans une vallée de l’Ardèche. Ils y font une découverte sans précédent : le lieu est orné de motifs peints il y a environ 36 000 ans, soit deux fois plus anciens que ceux de la grotte de Lascaux, considérée jusque-là comme l’un des exemples les plus aboutis d’art pariétal au monde. Une fois la découverte signalée aux autorités, une expédition officielle est montée. Authentifiée par des spécialistes, la grotte est classée au titre des Monuments historiques.
L’État engage alors une procédure d’expropriation afin de devenir propriétaire du site et de mettre en place des mesures strictes de sécurité et de conservation préventive. La grotte fait ensuite l’objet d’une vaste étude pluridisciplinaire dirigée par Jean Clottes, spécialiste de l’art pariétal. Les relevés et des analyses révèlent une originalité et une richesse insoupçonnées. D’ailleurs la communauté scientifique ne cache pas son bouleversement devant la qualité et la profusion des ornements mis au jour, ainsi que devant la datation du site qui remet en cause de nombreuses hypothèses sur l’histoire de l’art préhistorique. Car les décors les plus anciens de la grotte, datés d’environ 36 000 ans, apportent un éclairage radicalement nouveau sur les Aurignaciens, cette première civilisation d’Homo sapiens en Europe et dont on ne connaissait alors que quelques rares vestiges assez sommaires.
Un décor sans équivalent
Cavité géologique remarquable, la grotte Chauvet-Pont-d’Arc présente des dimensions vertigineuses : plus de quatre cents mètres de long, des plafonds frisant les vingt mètres de haut, des proportions spectaculaires accentuées par la polychromie naturelle de la pierre allant du blanc éclatant au rouge profond. Mais bien plus que ses qualités géologiques, c’est l’incroyable richesse de son décor qui frappe les esprits. La surprise de cette découverte réside tant dans l’originalité du bestiaire qui y est figuré que dans la variété et la sophistication des techniques employées par ceux qui apparaissent désormais comme les premiers peintres de l’humanité. Alors que les autres sites d’art pariétal font la part belle aux animaux chassés par les hommes préhistoriques, les parois de la grotte Chauvet sont majoritairement ornées d’animaux dangereux parfois mis en scène dans des compositions narratives : chasse en meute, combat de rhinocéros ou encore comportements prénuptiaux de félins, avec un luxe d’observations et de détails anatomiques déroutants.
Outre la nature des scènes, leur profusion et leur variété interpellent. Pas moins de quatre cent vingt-cinq représentations composent un bestiaire inédit qui réunit une quinzaine d’espèces : ours, rhinocéros, lions, hiboux ou encore la seule panthère actuellement connue de l’art pariétal. On y trouve aussi des animaux plus courants dans l’art rupestre, comme les chevaux, les bisons et les rennes. Plus surprenant encore, on y découvre le plus ancien dessin d’un corps féminin, étonnante créature composite associant le bas d’un corps de femme à une tête de bison, représentation probablement liée à un mythe aujourd’hui oublié. Enfin, de nombreux signes gravés ou peints animent également les parois. On y distingue entre autres des points réalisés par l’application de paumes de mains recouvertes d’ocre, des mains négatives obtenues par projection de pigment autour du motif, ainsi que d’énigmatiques tracés abstraits dont la signification n’a pas encore été élucidée.
Des techniques sophistiquées
Parallèlement à la nature des représentations, la variété des matériaux – ocre, fusain et gravure – et la sophistication des techniques utilisées suscitent l’émoi des préhistoriens. L’étude des décors majeurs de la caverne révèle ainsi que les peintres avaient un réel souci de composition et qu’ils ont eu recours à une grande diversité de techniques de mise en relief des éléments géologiques pour obtenir des scènes spectaculaires. Saillants, creux, alcôves et pendants sont ainsi exploités pour amplifier la théâtralité des scènes et retranscrire une impression de mouvement. L’organisation en vastes panneaux animés grâce à des procédés de perspective, jouant sur la juxtaposition de figures de tailles différentes, sur le détourage ou sur l’enchevêtrement complexe d’animaux, concourt enfin à créer des scènes d’un naturalisme et d’un dynamisme saisissants donnant l’impression d’un surgissement des figures.
Mais pour l’heure, ces décors exceptionnels ne sont visibles que par une poignée de spécialistes triés sur le volet. Il va encore falloir patienter un peu avant de les découvrir à notre tour, grâce à la réalisation d’un espace de restitution qui accueillera un fac-similé de la grotte Chauvet, reprenant à l’échelle 1 les panneaux les plus spectaculaires de la cavité, l’ouverture étant prévue pour 2014.
3,2 millions d’années
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2,6 millions d’années
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La grotte de Lascaux, située en Dordogne, marque la période d’apogée de l’art.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Grotte Chauvet, joyau de l'art pariétal