Riche de cent trente prêts, l’exposition a valeur d’événement en France. William Blake, artiste romantique anglais par excellence, est considéré outre-Manche comme un trésor national si bien gardé que la France ne conserve de lui qu’une seule aquarelle.
William Blake peint et écrit des poèmes comme d’autres font la guerre. Pour cet Anglais partisan des idéaux de la Révolution française et de l’Indépendance américaine, l’art est une épreuve de désenchaînement : un combat qu’il mène avec fureur et passion. Dissident revendiqué, Blake est l’une de ces figures singulières que compte l’Angleterre de la fin du xviiie siècle, impossible à confiner dans une catégorie. Qu’il soit peintre, graveur ou poète, l’homme dénonce toute forme d’asservissement, au gré de ses visions.
Il en résulte une production féconde et mystique, une ligne virile, des formules acerbes qui déroutent, saisissent et intimident. L’exposition monographique du Petit Palais se propose de percer les secrets réputés impénétrables de cet illuminé visionnaire. Une ambition élevée, une ambition à la hauteur de l’artiste.
Les années d’apprentissage
Troisième d’une fratrie de sept enfants, William Blake naît le 28 novembre 1757. La famille loge au-dessus de la boutique de bonneterie que tient le père au 28 Broad Street, en plein cœur de Londres, dans le quartier de Soho. Recevant une éducation plus rigoureuse que le courant anglican majoritaire, Blake est, dès son enfance, marqué par un protestantisme puritain dont la radicalité de pensée le suivra toute sa vie durant.
Son père, soucieux de sa formation et attentif aux aptitudes que le jeune homme développe, l’inscrit dans une école réputée de dessin, l’académie de Henry Pars située au 101 Strand. Dès lors son penchant pour l’art s’impose comme une vocation, avant de devenir un sacerdoce. Outre ses qualités artistiques, Blake développe un goût pour la flânerie, les promenades sur les bords de la Tamise dans un Londres qui est pour lui « la plus belle œuvre de la création ».
Chez Langford’s et Christie’s, il achète aux enchères des lots dépareillés d’estampes anciennes
qui marquent le début de son admiration pour Raphaël, Michel-Ange, Jules Romain, Dürer. Le jeune artiste comprend du même coup les possibilités qu’offre la gravure. Sa capacité de reproduction en un grand nombre d’exemplaires permet une diffusion rapide vers un large public, à moindre coût, ce qui en fait, à cette époque, un outil de vulgarisation artistique inégalé. Une leçon que Blake retiendra pour son propre compte.
À l’âge de quatorze ans, il entre comme assistant chez James Basire, graveur pour la société des antiquaires de Londres. L’apprentissage dure sept ans. Il assimile les techniques de gravure : celle au pointillé et « à la manière noire », toutes deux en vogue à cette époque, dont il se désintéresse rapidement au profit de la gravure au burin. Basire l’envoie à l’abbaye de Westminster dessiner et graver d’après les gisants des tombes royales. C’est là que naît sa passion pour le Moyen Âge et son imaginaire « gothicisant ».
À la fin de son apprentissage, en 1779, c’est la Royal Academy qui lui ouvre ses portes. Mais les violents désaccords qui l’opposent au président de la première institution artistique du pays, Joshua Reynolds, le poussent à prendre ses distances.
Des visions métaphysiques
Qu’elle soit picturale ou poétique, l’entreprise artistique de Blake repose sur ses visions. Les premières apparitions surviennent lorsqu’il est enfant. Il voit un arbre chargé d’anges. Un autre jour, c’est le prophète Ézéchiel qui lui apparaît. Plus tard, ce sont des génies littéraires qui se montrent à lui et jouent le rôle de guides spirituels. Durant leurs apparitions, il les croque, produisant une série de petits portraits intitulés Portraits visionnaires où apparaît notamment le poète Milton jeune. Il dira : « Milton m’a aimé dans mon enfance et m’a montré son visage/Ezra est venu avec Isaïe le prophète, mais Shakespeare dans mes années plus mûres m’a donné la main »
Tout en participant aux expositions annuelles de la Royal Academy, Blake ouvre une petite maison d’édition d’estampes qui lui apporte une certaine renommée. Le décès de son frère préféré qui l’assistait dans son travail l’affecte, mais ne le décourage pas. De fait, pour lui cette mort ne marque pas une véritable disparition, car son frère réapparaît dans plusieurs visions et lui inspire un nouveau procédé d’impression totalement novateur : l’eau-forte en relief ou « imprimé enluminé » qu’il expérimente en 1788-1789 sur ses premières œuvres imprimées Les Chants d’innocence et Le Livre de Thel.
Habité par ses visions torturées, Blake développe une nouvelle forme de pensée à l’opposé de la philosophie des Lumières et de ses représentants que sont Reynolds, le philosophe Locke ou encore Newton. À la conception d’une nature ordonnée où la raison gouverne les passions, le peintre substitue l’imagination qui enfante ses visions. Cette singularité apparaît dans une estampe intitulée Newton : Isaac Newton, fondateur de la physique moderne et emblème des Lumières européennes, est ici représenté nu, replié sur lui-même, traçant des figures géométriques au moyen d’un compas. L’homme de science est en fait en train de délimiter le monde, de le circonscrire à ses pures apparences matérielles.
Dans un recueil de poèmes, Mariage du ciel et de l’enfer, Blake imagine et représente deux personnages s’affrontant pour la sauvegarde de leur monde : Los incarne l’imagination et Urizen symbolise la raison ou l’illusion rationaliste empêchant l’accès à la vérité spirituelle. Dans cette épopée, Blake révèle les enjeux esthétiques de cette fin de siècle : l’affrontement de la tradition néoclassique et de sa forme subvertie, l’esthétique romantique.
Blake, le révolutionnaire !
Lorsqu’elle n’est pas métaphysique, l’intention des œuvres de Blake est politique. L’artiste côtoie chez l’éditeur libéral Joseph Johnson des personnalités acquises à la cause révolutionnaire : Tom Paine, Joseph Priestley, Mary Wollstonecraft. Dans ce petit groupe, il fait de sa création l’instrument de la rébellion. Tout au long de sa vie, Blake est un homme en colère. Il dénonce les abus du régime monarchique, le joug d’un système aristocratique où la normalisation prime sur l’individualité.
Au risque d’être emprisonné, Blake publie dans les années 1790 deux recueils prophétiques, Amérique et Europe. Les textes sont métaphoriques, l’histoire contemporaine se dissimule sous les traits du mythe, mais la révolte et le ton irrévérencieux, obstiné, passionné sont là. Parce que la liberté n’est pas une conquête définitive, mais une lutte perpétuelle, Blake en fait sa cause. Un combat par les mots et le dessin, la légende et l’histoire, où le message naît de l’apport conjugué de tous ces éléments, mais où le mystère demeure.
De son vivant, Blake n’est reconnu que d’un cénacle d’écrivains comme Wordsworth ou Coleridge. Malgré quelques amitiés artistiques profondes avec le sculpteur Flaxman et le peintre Henry Fuseli, Blake reste voué à la solitude : son tempérament d’illuminé déroute et le discrédite aux yeux du public. Dans les années 1850, la nation britannique prend peu à peu conscience de la valeur de son œuvre : le British Museum acquiert les livres enluminés les plus importants et, en 1862, l’Exposition universelle de Londres présente cinq de ses œuvres. Mais c’est surtout la biographie d’Alexander Gilchrist, publiée en 1863 sous le titre Pictor Ignotus (« peintre inconnu »), qui propulse Blake sur le devant de la scène. Dante Gabriel Rossetti, chef de file des préraphaélites, l’un des premiers redécouvreurs du génie de Blake, acquiert en 1847 le fameux manuscrit (présent dans l’exposition) qui porte aujourd’hui son nom (« manuscrit Rossetti »). En France, il faut attendre 1923 et une traduction du Mariage du ciel et de l’enfer par André Gide, pour susciter l’engouement entre autres des surréalistes. En 1927, Philippe Soupault traduit Les Chants d’innocence et d’expérience. C’est enfin au travail colossal de Pierre Leyris, dans les années 1970, que les non-anglophones doivent la traduction de tout l’œuvre du visionnaire. Comme l’écrivait Gide : « C’est une étoile très pure et très lointaine, dont les rayons commencent seulement à nous atteindre »
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William Blake, le plus visionnaire des romantiques anglais
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« William Blake (1757-1827), le génie visionnaire du romantisme anglais » du 2 avril au 28 juin 2009. Petit Palais, Avenue Winston-Churchill, Paris. Horaires : tous les jours de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 20 h, fermé le lundi. 8 et 6 e. www.petitpalais.fr
Au même moment, au Petit Palais.
Le musée programme jusqu’au 5 juillet une autre exposition rare : « Le mont Athos et l’Empire byzantin, trésors de la Sainte Montagne ». La république monastique du mont Athos, territoire situé en Macédoine centrale, comptabilise une vingtaine de monastères qui ont prêté pour cette rétrospective plus de 200 œuvres rarement sorties de Grèce. Les manuscrits, icônes, objets de culte, fresques et sculptures témoignent des liens qu’entretenait la péninsule grecque avec l’Empire byzantin du ixe au xviiie siècle.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : William Blake, le plus visionnaire des romantiques anglais