Après la chute du Mur, en 1989, Berlin a vu déferler une vague d’artistes, de galeristes et de collectionneurs séduits par les vestiges du socialisme et le faible coût de la vie. En 2007, que reste-t-il de leur engouement ?
Il y a une petite quinzaine d’années, une poignée de « nouveaux Berlinois » retroussent leurs manches pour improviser galeries et lieux expérimentaux à l’Est. La troupe solidaire s’organise à Mitte autour de la Auguststrasse. Immeubles délabrés, électricité aussi hésitante que la notion de propriété immobilière, tout est à faire.
En réalité, les audacieux sont assez peu nombreux et les quelques galeries d’art contemporain encore en place à l’Ouest manifestent dans l’ensemble une indifférence à peine polie à l’égard d’un territoire jugé trop libre et chaotique pour être fréquentable. Malgré tout, les vernissages et fêtes organisés collectivement drainent rapidement un monde de plus en plus nombreux. Les lieux provisoires, galeries et bars se multiplient. L’art commence à faire événement et prend ses marques, profitant de la multiplicité des réseaux mis en place par la contre-culture. Quant aux artistes montrés, ils sont jeunes, internationaux et rompent fermement avec les fantômes de la peinture néo-fauve encore robuste en Allemagne.
Willkommen, bienvenue, welcome
Contemporary Fine Arts, Thomas Schulte, Carlier Gebauer sont de cette première vague. Esther Schipper aussi. Elle ferme boutique à Cologne pour ouvrir d’abord une petite galerie expérimentale à Mitte au début des années 1990. Dans ses valises : Liam Gillick, Angela Bulloch, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster et quelques autres. « Le marché était nul, se souvient-elle en souriant, mais nous avions le sentiment de respirer. À Cologne les grosses galeries avaient tendance à nous maintenir dans nos bacs à sable de jeunes galeries prospectives. À Berlin, les choses devenaient tout à coup possibles ». Même enthousiasme chez le jeune galeriste algérien Mehdi Chouakri qui débarque en 1996 avec pour bagage le travail de Sylvie Fleury à promouvoir. « Je n’avais aucune idée de Berlin, raconte-t-il. Mais j’ai été immédiatement séduit par ce mélange de vestiges socialistes, d’ouverture à l’américaine et de vieille Europe. Il y avait une telle liberté ici que ça ne pouvait qu’attirer du monde ! ».
Voilà pour la légende version far-west. En réalité, l’enthousiasme du pionnier ne motivent qu’en partie. Faibles loyers, grands espaces et petits salaires font le reste. Les substantielles économies de fonctionnement permettent aux galeristes de chouchouter leurs collectionneurs de passage.
Tout est encore possible...
Quinze ans après, qu’en est-il ? Mehdi Chouakri a déménagé en 2006 pour la troisième fois et s’est installé à un jet de pierre du KunstWerke dans un très chic et luxueux espace avec deux salles d’exposition. Et il n’est pas le seul. L’Auguststrasse et ses environs restent la zone centrale pour qui veut se faire une idée de l’art actuel à Berlin, mais le quartier a perdu de son exotisme bohème. Façades fraîchement refaites, trentenaires branchés à poussettes, le secteur est devenu bien tranquille, alignant galeries, grands cafés clairs, boutiques vintages et agences d’architectes. Résultat : les loyers s’emballent et repoussent les nouveaux entrants.
Pourtant, rien ne semble encore contrarier l’élan boosté par le succès grandissant de la Biennale et de la foire. Les galeries continuent d’affluer : pas moins de 300 repérées à Berlin et
40 nouvelles ouvertures en 2007 toutes catégories confondues. Brunnenstrasse vers le Nord et l’Est, le long de la Spree vers Jannowitzbrücke, les épicentres se multiplient. Ça déménage, ça s’agrandit. Tout le monde est passé, passe ou passera à Berlin. « Depuis la chute du Mur, note Mehdi Chouakri, un million de personnes ont quitté Berlin. Un million s’y sont installées. En matière d’art, c’est un peu plus difficile pour ceux qui arrivent, reconnaît-il. On est là nous, et on prend de la place ! Mais tout est encore possible ». Tellement possible que, depuis peu, un nouveau phénomène progresse : Stuttgart, Cologne, Münich, le Sud de l’Allemagne faiblit et les poids lourds reviennent ou ouvrent des antennes à Berlin. À l’image de Michael Janssen, Jan Winkelmann ou de la puissante Galerie Jablonka revenue s’installer à Mitte après un long exil à Cologne. Beaucoup de ces grosses machines s’organisent collectivement dans des immeubles ou anciens complexes industriels, en particulier autour de Checkpoint Charlie. Ça grince un peu des dents, certains craignant une scène uniformisée par des franchises ou vitrines sans véritable ancrage berlinois. Même la pionnière Contemporary Fine Arts, après Jonathan Meese, n’hésite plus à programmer une exposition Picasso en mai.
Les institutions à la traîne
Possible que la faiblesse flagrante des institutions fasse craindre un hold-up du marché. « L’un des plus grands drames institutionnels berlinois analyse Mehdi Chouakri, c’est la Berlinischer Galerie qui a complètement raté le train de la jeune scène berlinoise ». À la relative exception du KW et du Künstlerhaus Bethanien à Kreuzberg, lieu d’exposition et pépinière d’artistes et commissaires en résidence, l’institution peine à la tâche, empêtrée dans les sévères coupes budgétaires, les chantiers en cours et la tentation de la dissolution dans les nouveaux médias. « Même le Hamburger Bahnhof, ouvert en 1996, n’a pas su acheter l’art en train de se faire », regrette Esther Schipper.
Artistes, galeries et collectionneurs privés animent pour l’essentiel cette scène encore particulière. Berlin semble résister à l’uniformisation. Le phénomène de gentrification fera sans doute encore bouger les lignes géographiques, mais l’énergie des artistes et la perméabilité des réseaux devraient assurer encore quelques belles années de bouillonnement créatif à cette presque capitale qui cultive sa lenteur, ses incohérences, son ouverture et son incomparable tranquillité.
Hamburger Bahnhof : l’institution phare
Ancienne gare reconverti en musée d’Art contemporain en 1996, l’édifice néoclassique planté en plein vent sur un boulevard désert s’appuie sur la collection du Dr Marx et s’adjoint provisoirement la collection Flick, locataire de sa partie souterraine. Pas simple d’y retrouver ses petits, mais la halle centrale à trois nefs est spectaculaire et les œuvres majeures de la seconde moitié du XXe y sont légion.
Hamburger Bahnhof, Invalidenstr.50/51, 10557 Berlin, tél. 49 (0)30 39 78 34 11.
Les collections Newton, Daimler et Guggenheim
Ce trio-là a trouvé sa place dans le paysage contemporain berlinois. L’antenne du Guggenheim s’est installée Unter den Linden il y a dix ans déjà. Elle programme cher et grand public. C’est aussi la cible de la jeune fondation Helmut Newton qui s’est adjugé deux étages chic et glacés sous le musée de la Photographie dans le Landwehrkasino. Quant à la discrète collection Daimler , orientée abstraction géométrique et minimalisme, elle présente d’impeccables petites expositions à l’étage feutré d’un immeuble de la Potsdamer Platz.
1. Helmut Newton Foundation, Jebenstr.2, 10623 Berlin, tél. 49 (0)30 31 86 48 56. En travaux.
2. Daimler Contemporary, Alte Potsdamer Str.5, 10785 Berlin, tél. 49 (0)30 25 94 14 20.
3. Deutsche Guggenheim, Unter den Linden
13-15, 10117 Berlin, tél. 49 (0)30 202 09 30.
La scène alternative : renouveau ou attraction ?
Au début des années 1980, Berlin devient La Mecque d’une culture alternative drainant collectifs d’artistes, scène punk et électro. Le mouvement s’étend vers Mitte, mais les squats d’artistes s’essoufflent, dépassés par l’embourgeoisement en cours. À l’image de l’iconique Tacheles, ex-squat affaibli par les luttes intestines, devenu candidat à la carte postale pour touristes. Il devrait fermer en juin. Quant à la scène « off », essentiellement électro, elle s’est déplacée vers Friedrichshain, Weissensee et Pankow.
Le KunstWerke : PS1 Berlinois ?
Fondé au début des années 1990, repensé en 1999, installé dans la rue qui vit pousser toutes les galeries, le KW fut à l’origine de la Biennale de Berlin et s’est imposé comme l’institution laboratoire la plus pointue, alliant vitrine internationale, réseaux et forces vives. Même si le programme s’est un brin rétréci, ici, ça brasse large. Lieu social autant que lieu d’exposition, on y travaille, on y discute – dans le Café Bravo conçu par Dan Graham – et on y expose pointures et jeunes pousses.
KW, Auguststr.69, 10117, tél. 49 (0)30 24 34 59 90.
Berlinischer Galerie : l’institution locale
Un tout jeune et sobre musée que voilà, sorti de terre en 2004. Comme tant d’autres, il fut tricoté pour répondre à nombre de missions et cimenter plusieurs fonds préexistants. L’un de ses mandats est régional : enregistrer ce qui couve sous la marmite créatrice berlinoise. À tel point que la programmation tire vers l’auberge espagnole. À voir en tout cas pour la partie historique permanente qui court de Dada à Fluxus.
Berlinischer Galerie, Alte Jakobstr. 124-128, 10969 Berlin, tél. 49 (0)30 789 02 60.
Pour qui aime visiter au calme ou débusquer les fonds de cour, restent encore les ateliers d’artistes et les collections privées. Ouvert en 1997 par Rolf et Erika Hoffmann, le bal des collectionneurs est encore timide mais prend de l’ampleur. Le samedi, Erika Hoffmann ouvre les portes de chez elle, une ancienne usine nichée dans le haut Mitte. C’est ici parmi les meubles que vivent les œuvres dont la propriétaire modifie chaque année la configuration au gré des nouvelles acquisitions : Stella,
Warhol, mais aussi Nan Goldin, Arnulf Rainer et découvertes venues des nouvelles scènes asiatiques. Dans son sillage encore un brin frileux, suivent Wilhelm Schürmann et Axel Haubrok, dont la collection ultracontemporaine est visible chez lui, sur rendez-vous. Tarde à s’inaugurer l’espace du publicitaire Christian Boros qui devrait abriter un bouquet de stars du marché des années 1990 dans un ancien bunker avec meurtrières et impacts de balles d’époque toujours dans le haut Mitte. Et on attend encore la prodigieuse collection de Thomas Olbricht, brillant mélange de contemporain et d’ancien. L’endocrinologue, familier de la scène berlinoise prend lui aussi ses quartiers à Mitte et devrait ouvrir un espace de mille mètres carrés tout contre le KW.
- Sammlung Hoffmann, Sophienstr.21,
10178 Berlin, samedi de 11 h à 16 h et sur RV.
tél. 49 (0)30 28 49 91 20.
- Sammlung Haubrok, 19, Strausberger Platz, Berlin, tél. 49 (0)30 80 61 92 87.
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Berlin, la capitale de l’art contemporain
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Berlin, la capitale de l’art contemporain