Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
– Tu te souviens quand David a peint ce portrait de nous, Ossie ? – Oui Celia, je me souviens. C’était il y a plus de 45 ans mais, dans ma mémoire, c’était hier. C’est si bizarre de voir ce tableau dans un musée alors qu’il ne parle que de nous. – Peut-être que les gens qui le regardent ont le sentiment que cela parle aussi d’eux, tu vois, ces deux personnes qu’ils ne connaissent pas, mais dont ils sentent qu’elles sont ensemble, regardant dans la même direction. – C’est plutôt nous qui regardons les gens, dans ce tableau ! C’est ça qui est tellement fort dans le travail de David, cette façon qu’il a d’attraper le spectateur dans ses filets. « Regardez-moi, regardez-moi ! », il n’arrêtait pas de nous répéter ça. J’avais parfois l’impression de me faire engueuler. Tu ne trouves pas que j’ai l’air un peu boudeur ? – Non tu as l’air concentré. Il fallait bien l’être tant David était exigeant lors de nos séances de pose… C’est ça, concentré, mais en même temps tu as l’air bien. Regarde comme tu te tiens, cette façon de s’asseoir qui n’appartient qu’à toi. Et puis, tes pieds nus qui s’enfoncent dans les poils du tapis. C’était de la fourrure, j’adorais m’allonger sur ce tapis. Oui tu étais bien, nous étions bien, c’était une époque heureuse, n’est-ce pas Ossie ? Et moi, j’ai l’air de quoi ? – Tu as l’air d’une madone mélancolique. – J’adorais cette robe, tu l’avais dessinée pour moi. – J’étais si content que David te demande de la porter. Je crois que c’est ce qui m’émeut le plus chaque fois que je revois le tableau, ce sens des détails intimes, le fait qu’il ait choisi de nous faire poser dans notre chambre, dans l’appartement où nous venions d’emménager à Notting Hill Gate, la lampe que nous avions achetée aux puces de Camden, le bouquet de lys, le téléphone. Tu te rends compte, je suis ému en regardant ce téléphone si moche, c’est ridicule tu ne trouves pas ! – Mais non, c’était exactement cela que recherchait David, baigner chaque être, chaque objet, jusqu’au plus banal, dans une lumière d’éternité. Il avait choisi la chambre pour le contre-jour. C’est pour ça que la fenêtre est au centre, avec toi et moi de part et d’autre, dans la clarté du matin. Et puis, tel que je connais notre vieil ami que nous avions choisi pour être témoin lors de notre mariage, je pense que ça l’amusait de révéler ainsi notre intimité, et de montrer qu’il en faisait partie. Moi, quand je regarde ce tableau, c’est David que je vois. Il n’est pas visible, mais il est partout. Je sens son regard, cette façon tellement singulière qu’il a d’être à la fois indiscret et amical. – Il faut dire que cela fait sacrément longtemps qu’on se connaît. C’était en quelle année déjà, l’école d’art, à Manchester ? – 1961, Ossie. – 1961… Tu as remarqué Celia ? Nous n’avons pas parlé de Percy. – Oh, tu sais, ça m’est difficile de parler de lui. – C’était un chat si merveilleux, et quand je le vois peint par David comme un sphinx blanc qui regarde la lumière en face, je sens encore sa chaleur douce sur mes genoux. – Je crois qu’il me manque encore plus depuis que nous avons divorcé. – Moi aussi, Percy me manque terriblement.
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Le Jour où Hockney a peint « Mr and Mrs Clark and Percy »
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°703 du 1 juillet 2017, avec le titre suivant : Le Jour où Hockney a peint "Mr and Mrs Clark and Percy"