Art contemporain

Camille Morineau : « Pour les femmes artistes, en France, les choses évoluent »

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 19 février 2013 - 756 mots

Camille Morineau est conservatrice au Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou. Elle a été la commissaire de l’exposition « elles@centrepompidou » en 2009.

Isabelle Manca : Marie Laurencin à Marmottan, Eileen Gray à Beaubourg, bientôt Laure Albin-Guillot au Jeu de paume… Nous assistons depuis quelques années à un certain engouement pour les artistes femmes. Pensez-vous que les choses aient changé depuis « elles@centrepompidou » qui avait engendré de vives polémiques ?
Camille Morineau : Au cours des dernières années, la situation s’est clairement améliorée. Nous avons vu se multiplier les expositions monographiques consacrées à des artistes femmes ainsi que d’ambitieuses manifestations collectives, comme la récente exposition « La face cachée de la lune », à Düsseldorf, qui s’intéressait aux femmes dans l’avant-garde.

I.M. : Comment expliquez-vous que de nombreuses artistes de premier plan soient restées aussi longtemps dans l’oubli ?
C.M. : Certaines pionnières, comme Sonia Delaunay ou Sophie Taeuber-Arp, sont restées dans l’ombre de leur époux ou de membres masculins des groupes auxquels elles appartenaient. D’autres artistes, à l’instar de Marie Laurencin qui n’est pas affiliée à un courant, ont aussi souffert de ne pas être identifiées à un grand mouvement historique. L’univers singulier de certaines femmes, irréductible à un courant ou à un style, a ainsi nui à leur reconnaissance.
Mais les choses sont en train de changer, car l’histoire de l’art évolue progressivement vers une approche décloisonnée, qui tend à considérer davantage les artistes dans leur individualité et non plus seulement pour leur place au sein d’un mouvement. Par ailleurs, ce retard historiographique s’explique également, dans le cas de la France, par l’absence de gender studies à l’Université. Aux États-Unis, où cette approche est très développée et où les féministes ont été très proches du milieu de l’art, les artistes femmes occupent une place bien plus centrale dans l’histoire de l’art.

I.M. : Consacrer une exposition collective à des femmes ou revaloriser le travail de créatrices oubliées suscite-t-il toujours la polémique, ou assiste-t-on à une normalisation de ce type d’expositions ?
C.M. : La situation est plus apaisée, mais nous ne sommes pas encore complètement dans une phase de normalisation ; il faut toujours une bonne dose de courage pour défendre ces projets. Mettre en valeur des artistes femmes demeure, en outre, difficile car il reste un travail scientifique considérable à réaliser pour replacer leur production dans l’histoire de l’art, pour l’évaluer et parfois tout simplement pour la documenter.
Mais la constante tentative de réévaluation du discours historique fait partie des missions du musée. Grâce à cet exercice d’autocritique, les institutions ont pris conscience de la faible visibilité des femmes et commencent à rattraper leur retard. Aujourd’hui, les initiatives dans ce sens se multiplient aussi à la faveur de facteurs extérieurs, comme l’intérêt grandissant des médias et du public pour ce genre d’expositions ; ce qui n’était franchement pas gagné d’avance.

I.M. : Ce changement dans les politiques d’exposition se traduit-il également par une évolution de la recherche et des politiques d’acquisition des musées ?
C.M. : Absolument, les acquisitions accompagnent cette prise de conscience. Au Centre Pompidou, nous avons actuellement plusieurs acquisitions en cours d’œuvres d’artistes femmes importantes.
Dans le monde de la recherche, la situation évolue aussi de façon très nette ; nous sommes constamment sollicités par des chercheurs qui travaillent sur des artistes femmes. Par ailleurs, cet engouement public et institutionnel se traduit également par la reconnaissance croissante des femmes par le marché de l’art ; les prix de certaines artistes ont récemment augmenté de façon significative, et je pense que nous ne sommes qu’au début d’un processus.

I.M. : Reste-t-il encore de grandes artistes à redécouvrir ?
C.M. : Très certainement. Il y a, entre autres, de nombreuses femmes architectes qui sont encore totalement oubliées. Mais même pour des artistes connues, il reste parfois encore des pans entiers de leur production à étudier. Par exemple, il y a un travail considérable à mener sur l’invention d’un nouveau rapport entre art plastique et arts appliqués qu’ont orchestrée des artistes d’avant-garde, comme Sonia Delaunay. Certaines pionnières étaient à la pointe de réflexions très contemporaines sur le décloisonnement des pratiques, le rapport au marché ou encore à la technique.
Au-delà du regain d’intérêt pour certaines personnalités, ce qui s’affirme surtout, c’est une autre façon de repenser l’histoire de l’art, une autre optique qui ouvre une multitude de pistes de réflexion.

I.M. : Avez-vous des projets d’expositions d’artistes femmes ?
C.M. : Oui, je prépare actuellement une grande rétrospective consacrée à Niki de Saint Phalle qui aura lieu au Grand Palais en 2014.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°655 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Camille Morineau : « Pour les femmes artistes, en France, les choses évoluent »

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