Dressant le constat d’une course sans frein à l’événementiel, le directeur du Musée des beaux-arts de Rouen tente, à travers « Le temps des collections », d’esquisser une nouvelle proposition pour repenser l’usage du musée.
L'oeil : De quel constat est né « Le temps des collections » ?
Sylvain Amic : Aujourd’hui, les musées peinent à faire vivre leurs collections. La fréquentation des musées est en hausse, mais dès que les expositions temporaires s’achèvent, les chiffres chutent. Nous sommes face à un paradoxe : nos musées abritent des chefs-d’œuvre, nous sommes d’ailleurs sans cesse sollicités pour les prêter, or, quand ces œuvres sont montrées à l’extérieur, elles attirent les foules, alors que quand elles le sont dans nos collections, c’est le calme plat. Au mieux, elles sont considérées comme une banque d’échange, chacun adossant ses prêts à ceux de ses confrères. Actuellement, la solution la plus courante pour valoriser les collections est d’organiser des expositions-dossiers ; de petites expositions sur des thèmes précis qui nécessitent beaucoup de travail, mais attirent peu de visiteurs. Il y a donc un nouveau modèle à inventer. À Rouen, je propose de créer un événement annuel sur les collections en ouvrant en même temps sept expositions-dossiers, sises dans le parcours des collections. Des propositions très variées, mêlant art ancien, art contemporain, œuvres récemment restaurées et nouvelles acquisitions, qui transforment pendant neuf mois la physionomie des collections.
L'oeil : Cette démarche peut-elle s’inscrire dans la durée ?
S.A. : Oui, car aujourd’hui nous sommes dans une course à l’événement qui ne peut plus continuer ; les expositions durent au mieux quatre mois, mais elles représentent un travail considérable et un effort financier colossal. Cette cadence n’est plus soutenable, et on arrive à saturation puisque les établissements veulent les mêmes œuvres en même temps. À ce rythme, je crains que seuls les gros musées ne survivent et que les acteurs privés ne nous taillent des croupières. Les musées régionaux ne peuvent pas rivaliser avec des opérateurs privés qui proposent des thématiques très populaires et qui disposent de gros budgets. La visibilité de leurs expositions séduit les prêteurs, surtout lorsque ces structures sont prêtes à payer pour obtenir un tableau ; or, aujourd’hui, quel musée peut refuser de l’aide pour financer un projet de restauration ou d’acquisition ?
L'oeil : Certains conservateurs dénoncent des pressions pour organiser des expositions rentables au détriment de projets plus scientifiques, qu’en pensez-vous ?
S.A. : Certes, les élus locaux font parfois pression pour que l’on organise des expositions rentables, mais je pense que le grand public doit être notre ambition. Il faut faire preuve d’imagination pour développer des projets accessibles de qualité. J’estime ainsi que les critiques de certains collègues sont excessives, il est trop facile de se retrancher dans sa tour d’ivoire en disant : « La mission du conservateur, c’est le travail scientifique ; on nous oblige à nous prostituer lorsque l’on nous demande de faire des expositions populaires. » Les collections sont publiques, elles n’appartiennent pas aux conservateurs, le vrai défi est de les faire connaître au plus grand nombre. Et ce n’est pas en faisant des expositions où l’on se parle entre soi, entre conservateurs et historiens, que l’on assurera le futur de nos collections.
La première édition de la manifestation « Le temps des collections » se tient au Musée des beaux-arts de Rouen du 12 octobre 2012 au 26 mai 2013. Dans le parcours des collections, les œuvres font l’objet d’une présentation inédite sous forme de sept expositions-dossiers.
1000 Expositions temporaires organisées en France en 2011, une programmation dont le budget est estimé à 75 millions d’euros.
« De nombreux projets d’expositions de qualité tombent à l’eau. Parce que l’on pense qu’il n’y aura pas assez de visiteurs. »
Christophe Vital, président de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France, Le Monde, 4 février 2011.
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Sylvain Amic, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen
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Abonnez-vous dès 1 €Historien de l’art, né en 1967, Sylvain Amic a été en charge des collections XIXe et XXe du Musée Fabre de Montpellier pendant onze ans. En 2011, il prend la direction des Musées de Rouen. Il est également commissaire de plusieurs expositions aux Galeries nationales du Grand Palais, dont actuellement « Bohèmes ».
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : Sylvain Amic, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen