Comment l’image traduit-elle les textes et quelle place prend l’écrit dans l’image ? Passage du mot à l’image, ou écriture peinte dans le tableau, deux textes de Meyer Schapiro, en 1969 et 1976, parcourent ces interactions. Aujourd’hui traduits sous le titre de Les Mots et les images, ils prouvent la complexité du travail iconographique.
La vue des différentes versions picturales d’un thème suffit à révéler l’ampleur de la tâche de la description iconographique et l’impossibilité de se limiter à la simple recherche d’un “texte-source”. Le terme de transcription ne semble d’ailleurs pas suffisant pour décrire le processus de passage du texte à l’image. Si Caïn tua Abel, comme il est dit dans la Genèse, l’arme du crime n’est pas mentionnée dans la Bible. Mais, gourdin, pierre ou mâchoire, les solutions abondent dans les peintures. Évitant de conclure hâtivement que “l’image visuelle est plus concrète que le verbe”, Schapiro constate aussi l’existence de nombreux récits “dont les éléments descriptifs ne se retrouvent pas dans les images ou, par principe, ne se laissent pas traduire dans tous les styles d’art en raison du champ limité de leur moyen de représenter.” En prenant comme objet d’étude la figure de Moïse pendant la bataille contre les Amalécites, l’historien de l’art ne mesure pas simplement les écarts entre mots et images, il met à jour des cas propres à la représentation dessinée, telle l’opposition face/profil : à la vue de face correspond le “je” et le “tu”, tandis que le profil semble adopter le caractère distancié du “il”. La face peut également affirmer un caractère divin et le profil l’aspect concret. Mais si le sens à donner à ces figures varie selon les époques et civilisations, reste que l’opposition, ou “dualité expressive” face/profil, comme l’écrit Schapiro, est une véritable forme symbolique.
Défaut chez Aristote, ou “béquille” chez l’artiste incompétent pour Vasari, L’écrit dans l’image est le second texte, inédit, du recueil. L’auteur est alors attentif à l’attitude du spectateur qui, en rencontrant l’écriture dans un tableau, passe de l’action de contemplation à celle de lecture. À travers une typologie sommaire du sort “peint” de l’écrit, le texte multiplie les exemples : la simple signature, dont la “convention” exige qu’on la lise, même si elle rentre dans le tableau et en “compromet la cohérence”, diverge de celle visible dans l’espace, à l’instar du Fifre de Manet. À moins qu’elle ne soit partie intégrante de la scène, dessinée sur le sol, aux pieds de la Duchesse d’Albe de Goya. Mais “art du livre” par excellence, l’art médiéval occupe la majeure partie de l’essai. Dans les enluminures, l’écriture peut être au cœur de la représentation, obéissant au point de vue d’un lecteur intérieur, ou s’en désolidariser partiellement quand elle s’adresse au spectateur. En conclusion, Meyer Shapiro s’attaque aux papiers collés cubistes, avant de finir sur l’œuvre de Joseph Kosuth, qui “se limite à un discours écrit comme objet d’art en soi”. Au fil de la lecture apparaît la certitude que l’image ne se contente pas d’obéir à la lettre. “Tout se passe au contraire comme si le langage – et a fortiori le langage poétique – était travaillé dans sa fonction même, par la question de la figurabilité”, écrit Hubert Damisch dans la préface.
- Meyer Schapiro, Les Mots et les Images, préface de Hubert Damisch, éditions Macula, 208 p., 150 F. ISBN 2-86589-051-1.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Voir avant de lire