Livres de peintres, catalogues raisonnés, monographies, l’édition d’art, en crise dans bien des pays, reste dynamique en Suisse. Souvent portée par la passion de quelques entrepreneurs, elle constitue également un domaine porteur qui a vu quelques belles réussites en peu d’années. De Genève à Lausanne, Neuchâtel, Zurich et Saint-Gall, ces maisons, qui n’hésitent pas à ouvrir des galeries, ne cessent de prendre des risques.
L’édition d’art, en Suisse, s’appuie sur une longue tradition, portée par une réputation de sérieux et de qualité. Un de ses fleurons a pourtant récemment quitté la Confédération : la maison fondée à Genève par Albert Skira a été rachetée en mai 1995 par les Italiens Giorgio Fantoni et Massimo Zelman, qui contrôlaient auparavant Electa. Basé dorénavant à Milan, l’éditeur continue d’être aidé par le fils du fondateur ; celui-ci conseille des titres et assure une activité de découverte. Ici s’arrête toutefois le lien reliant son pays d’origine à cette maison, qui édite toujours livres d’art et catalogues d’expositions. Face à une économie s’internationalisant de plus en plus, les éditeurs helvétiques sont moins fidèles que par le passé à leurs concitoyens imprimeurs. La Bibliothèque des Arts, à Lausanne, fait ainsi imprimer ses ouvrages à Singapour, essentiellement pour des raisons financières, tandis que le Zurichois Scalo travaille en étroite relation avec un imprimeur allemand. Malgré les prix pratiqués, certains font encore réaliser leurs ouvrages dans la Confédération. C’est le cas d’Ides et Calendes (Neuchâtel), d’Erker (Saint-Gall) ou d’Acatos (Lausanne), notamment pour des questions d’organisation. La qualité de la réalisation compte aussi et n’est pas étrangère à la bonne réputation des éditeurs suisses. Ces derniers plébiscitent en particulier leur positionnement géographique, au cœur de l’Europe, qui facilite leurs déplacements. Il est également plus facile d’y trouver des collaborateurs trilingues, ce qui constitue un avantage indéniable aujourd’hui, dans le monde de l’édition. Cependant, ces activités s’appuient sur de petites structures : deux personnes travaillent pour Ides et Calendes, trois pour la Bibliothèque des Arts, cinq pour Acatos, cinq pour Scalo et huit pour Erker. Les auteurs y trouvent également leur compte, puisque tous les membres de l’équipe éditoriale sont de fait des interlocuteurs potentiels.
Une histoire de langues
Le catalogue de ces éditeurs s’enrichit, en moyenne, d’une dizaine de titres par an. Le tirage des différents ouvrages varie suivant leur nature : Ides et Calendes, fondé à Neuchâtel en 1941, imprime entre 1 000 et 1 500 exemplaires de ses monographies d’artistes, comme celle que Pierre Daix a dernièrement consacrée à Alechinsky. Il est également lié à la langue, limitée au français dans le cas de l’éditeur neuchâtelois. Fondée à Lausanne en 1954 par François Daulte et dirigée aujourd’hui par son fils Olivier, la Bibliothèque des Arts publie aussi dans notre langue et en anglais, des titres tirés généralement à moins de 2 000 exemplaires, à l’exemple du catalogue raisonné de Géricault dû à Germain Bazin. Chez Acatos, en revanche, le premier tirage est de 5 000 exemplaires. La maison d’édition de Lausanne, fondée en 1992 par le critique d’art Sylvio Acatos, s’est spécialisée dans la publication de catalogues raisonnés : elle a par exemple sorti le premier ouvrage du genre consacré à un artiste sud-américain, en l’occurrence Wifredo Lam. D’autres devraient bientôt suivre, dont une monographie et un catalogue raisonné des peintures de Fernando Botero, de 1975 à 1990, et le deuxième volume du catalogue Lam. L’éditeur privilégie ici des éditions bilingues anglais/français ou se contente de la langue de Shakespeare. Il faut dire qu’il s’appuie sur une clientèle internationale, en particulier d’experts, de professionnels et de collectionneurs drainés par le titre phare de l’entreprise, le fameux catalogue Mayer, un guide international des enchères racheté à Édition M de Montreux lors de la création d’Acatos. Cette acquisition lui a d’emblée donné une image de spécialiste d’ouvrages de référence qui a joué un rôle important dans son développement.
Les éditions Erker, à Saint-Gall, créées en 1958 par Janett Juerg et Franz Larese, sont plus volontiers tournées vers l’allemand. Ainsi, elles viennent de traduire les écrits d’Antoni Tàpies (Das Wirklichkeit als Kunst, 254 pages). Son tirage à 5 000 exemplaires est néanmoins exceptionnel pour cette maison, qui s’est spécialisée dans les ouvrages de bibliophilie limités à 200 exemplaires. Au fil des ans, elle a collaboré avec de nombreux artistes, tels Poliakoff, Zadkine, Chillida, dont les interventions venaient accompagner de grandes signatures, comme Ionesco. Ces livres, vendus entre 4 et 5 000 francs suisses (16 à 20 000 francs), ont une clientèle internationale. Mais là ne s’arrête pas l’activité de l’entreprise : elle dispose également d’un atelier de lithographie et d’une galerie.
Être identifié comme éditeur
Les éditions Scalo gèrent également deux galeries de photographie, à Zurich et New York, qui exposent notamment le travail de Marianne Müller et de Jeannette Montgomery Barron. La programmation est constituée à 90 % d’œuvres d’artistes faisant l’objet d’une publication chez Scalo. La maison, fondée en 1992 par Walter Keller et Georg Reinhart, s’est spécialisée dans les ouvrages consacrés aux artistes contemporains, en privilégiant la photographie. Tirés à 5 000 exemplaires, ils sont édités principalement en anglais et en allemand, même si Scalo a aujourd’hui tendance à favoriser l’anglais. Les États-Unis sont en effet le premier marché de l’éditeur, dont les clients sont des collectionneurs, des amateurs qui n’ont pas les moyens de s’offrir les œuvres reproduites ou des professionnels (créatifs, publicitaires...), “des gens qui savent lire les images”.
Des images, il y en a justement très peu dans les ouvrages publiés par le Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève. Au lieu d’éditer de traditionnels catalogues d’expositions, le musée a développé une véritable politique éditoriale, articulée autour de différentes collections : des livres d’artistes (Sherrie Levine...) ; des “archives contemporaines” (Broodthaers, Parmiggiani...) ; des essais (Jean-Marc Poinsot...). Des coproductions de monographies de jeunes artistes sont également en projet. Ces ouvrages, souvent d’une haute tenue théorique et conçus pour les librairies, constituent indéniablement des outils de promotion pour le musée, même s’ils émanent d’un département interne travaillant à son propre rythme. “En 2002-2003, nous espérons être aussi identifiés comme éditeurs”, souligne Christian Bernard, directeur du Mamco. Après les maisons d’édition qui ouvrent des galeries, voici venu le temps des musées-éditeurs !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°91 du 22 octobre 1999, avec le titre suivant : Une passion d’entrepreneurs