« Le jazz avait déjà ses poètes, ses historiens, ses techniciens. Il a trouvé son photographe.
Un témoin (objectif) […], indispensable intermédiaire entre le jazzman et le jazzfan, celui qui donne aux amateurs du monde entier la vision concrète des hommes qu’ils admirent mais dont ils ne connaissent qu’imparfaitement les attitudes, les mimiques, le visage, si révélateurs. » Ainsi Daniel Filipacchi, qui a pris avec Frank Ténot les rênes de Jazz Magazine dès 1956, présentait-il le photographe américain Herman Leonard, surnommé « L’œil du jazz ». Mais cette définition, il aurait pu l’adopter pour chacun des quatre cents photographes qui ont contribué, en deux décennies et deux cent quatre-vingts numéros, à façonner en images la légende du jazz, tout comme ils ont montré leur vision de la société américaine, pas toujours tendre avec sa population noire. Publier des photos de musi-ciens de jazz, pour la plupart africains-américains, pas seulement sur scène mais aussi dans leur vie quotidienne, dans leur réalité sociale, c’était un acte politique. Voilà l’angle que l’exposition « Jazz Power ! » et son catalogue conçus pour les Rencontres photographiques d’Arles mettent en lumière : montrer le jazz et ceux qui le font, c’est un acte politique. Car le jazz n’est pas une musique hors-sol. Elle porte en elle l’histoire du peuple noir aux États-Unis : « L’amour que nous portons à la musique noire est la preuve de notre antiracisme. » Bien qu’elle se défende de tout militantisme, la rédaction se fait régulièrement l’écho des injustices systémiques dont sont victimes les jazzmen aux États-Unis, et ce faisant, elle prend parti, évoquant volontiers les « ennemis de l’égalité entre les Noirs et les Blancs ». « Miles prenait l’air devant le Birdland, ce fut son tort […]. Deux policiers l’ont matraqué sans merci. Voici ce qui peut vous arriver si votre tête ne revient pas à un policier new-yorkais – et spécialement si vous êtes noir et que le policier est blanc. » Le magazine rapporte aussi l’engagement de certains musiciens : Louis Armstrong, qui refuse de partir en tournée internationale en 1957 (« Avec la façon dont ils traitent mon peuple dans le Sud, le gouvernement peut bien aller au diable ») ; ou Dizzy Gillespie qui se présente avec conviction aux élections présidentielles en 1964. En 1971, Jazz Magazine consacre un numéro à la thématique « Police et musique », et met en une la photo d’une jeune femme noire par Jean-Marie Périer, en référence directe à l’activiste Angela Davis. Dès 1962, le magazine donne la parole aux musiciens les plus radicaux, comme le saxophoniste Archie Shepp : « Le musicien noir est un reflet du peuple noir […]. Je pense que les Noirs, par la violence de leurs luttes, sont le seul espoir de sauver l’Amérique. » C’est ça, le « jazz power ».
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Une histoire du jazz en photo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Une histoire du jazz en photo