Une aquarelle en train de se peindre. C’est d’abord par l’image qu’on a pu découvrir Youkali, l’envoûtant nouvel album du pianiste Stéphane Tsapis, avec le saxophoniste Jonathan Orland.
Pour en dévoiler le premier extrait, il a choisi de diffuser une vidéo où l’on voit le pinceau de l’illustratrice Clémence Monnet peindre un univers qui semble tissé fil par fil par la musique. Qui avance, en même temps que le papier absorbe les couleurs. C’est cette aquarelle qui est devenue la couverture de l’album. Douceur du pastel, tendresse du papier, lumière diffuse… : on est loin du noir et blanc graphique, tranchant et plein d’énergie de Zeina Abirached, avec qui le pianiste s’était lancé dans son précédent projet : Le Piano oriental. D’ailleurs, Le Piano oriental, c’était originellement le projet de la dessinatrice elle-même, qui, dans un album fascinant, raconte la joyeuse aventure de son arrière-grand-père musicien. À Beyrouth, dans les années 1950, Abdallah Chahine se sentait frustré par les limites européennes de son piano. Lui qui aimait tant la musique orientale souhaitait pouvoir la jouer sur son piano droit, de facture occidentale, comme tout piano-forte de l’époque. C’est-à-dire que son instrument avait l’oreille très absolue, ne voulant entendre que les tons, voire les demi-tons, qui séparaient les touches de son clavier. Or, la musique orientale se joue avec des quarts de ton, mais ça, le piano d’Abdallah ne voulait pas l’entendre. Comme M. Chahine n’était pas homme à s’en laisser conter, fût-ce par son piano adoré, il imagina une solution mécanique permettant de jouer les quarts de ton sans changer l’aspect de ce piano entêté – mais pas autant que lui. Et c’est ainsi qu’en appuyant du pied sur une pédale supplémentaire, il parvint à décaler légèrement les marteaux du piano, qui connut enfin l’extase du quart de ton. Ce faisant, l’illustre arrière-grand-père avait, selon les propres mots de Zeina Abirached, inventé un « piano bilingue ». Et elle ajoute qu’« écouter un piano oriental, c’est ouvrir une fenêtre à Paris et s’attendre à voir la mer ». Comme on est un peu marteau dans cette famille et que, visiblement, les histoires savent s’y raconter, l’illustratrice installée en France a eu l’idée, après avoir si joliment dessiné cette histoire musicale, de donner vie à un nouveau piano oriental. Avec Stéphane Tsapis – revenons à lui –, elle a rencontré un facteur de pianos qui, depuis la Belgique et grâce à des conversations par Skype avec sa mère (la petite-fille d’Abdallah, donc, qui a hérité du piano resté à Beyrouth), a réussi cette prouesse de créer un deuxième piano oriental. C’est désormais ce piano-là qui voyage à travers les mers pour raconter, dans un spectacle inspiré de l’album musical, cette histoire d’un pianiste entêté et un peu marteau…
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Un pianiste un peu… marteau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Un pianiste un peu… marteau