Tout Van der Weyden

Aucun livre sur Rogier van der Weyden ne semble pouvoir faire l’économie d’un retour sur la laborieuse identification du maître. On retrouvait un Rogier à Bruges et un autre à Bruxelles, un père et un fils, puis certains, se refusant à imaginer un peintre bruxellois originaire de Tournai, inventèrent même un quatrième Rogier. L’interprétation des sources anciennes, parfois contradictoires, est sans aucun doute au cœur du problème Van der Weyden, et le livre d’Élisabeth Dhanens et Jellie Dijkstra est d’ailleurs largement consacré aux questions historiographiques, proposant une relecture de ces sources publiées en annexe, mêlant textes d’archives et littéraires.

Né Rogier de le Pasture à Tournai, ville alors soumise à la couronne de France, il a néerlandisé son nom en s’installant en 1435 à Bruxelles, en terre flamande. Ayant appris le métier dans l’atelier de Robert Campin, il devait par un concours de circonstances pittoresque – le bannissement du maître pour cause d’adultère – prendre sa place au premier rang des peintres tournaisiens. Ainsi que l’ont révélé des archives relatives à cette période, son activité à Tournai fut bien plus importante qu’on l’a longtemps cru. Lui redonner sa part dans l’œuvre du peintre est l’un des enjeux du nouveau catalogue raisonné dressé par Dirk De Vos, qui, comme les autres, insiste sur les conditions de production dans le cadre de la maîtrise. Ce luxueux volume s’ouvre sur une longue analyse de l’œuvre emblématique de Van der Weyden, la Déposition de Croix du Prado, dans laquelle “tous les moyens picturaux sont mis en œuvre pour réconcilier les termes d’une série de paradoxes – pierre et chair, immobilité et mouvement, géométrie et rythme, composition et expression, volume et plan, éclairage et coloris – de façon à créer une image transcendée, comme dans un processus alchimique”. Outre l’importance accordée au contexte social, intellectuel, religieux et culturel dans lequel s’inscrit l’art de Van der Weyden, le texte se distingue par l’acuité des analyses stylistiques ou techniques, volontiers exprimées à la première personne, épargnant à cette synthèse toute aridité. En revanche, le format de la collection “Maîtres de l’art” chez Gallimard ne laisse guère d’espace à Albert Châtelet, auteur d’un magistral Robert Campin, le Maître de Flémalle en 1996, pour approfondir sa réflexion. On reste frustré par la brièveté du texte introductif et des commentaires accompagnant les reproductions. Il renvoie d’ailleurs à un autre de ses ouvrages, qu’il présente comme le complément critique de celui-ci : Rogier van der Weyden, problèmes de la vie et de l’œuvre (Presses universitaires de Strasbourg, 1999).

Laissons la conclusion à Dirk De Vos : “Après Van der Weyden, plus personne n’a rendu l’intensité des sentiments, des “mouvements de l’âme”, avec un tel sens de l’essentiel, un rejet si total du superflu. C’est à chaque fois avec la même tension, la même émotion, qu’on contemple ses interprétations, fixées et contenues par la magie du style.”