Avec L’art sans frontières, le Livre de Poche poursuit la publication de textes d’histoire de l’art inédits en français. Dans cet ouvrage qui, en fait, en contient deux, l’auteur brosse en une série d’articles, d’un côté la genèse des musées berlinois en soulignant l’importance du contexte politique, et de l’autre, une histoire du regard porté par certains artistes allemands sur l’art français.
Quelques mauvais esprits ont longtemps résumé les relations franco-allemandes au célèbre tableau d’Anton von Werner, L’Étape avant Paris (1894), dans lequel des soldats prussiens aux bottes crottées ont pris leurs quartiers dans un salon rococo français, l’un visiblement éméché, poussant la chansonnette tandis que son camarade l’accompagne au piano. Cette scène a pu être interprétée comme une victoire de la force masculine germanique sur la féminité française, mais aussi comme une insulte de la brutalité contre la culture et le raffinement. Cette culture française symboliquement souillée par une soldatesque indélicate n’a pourtant cessé d’inspirer les artistes outre-Rhin et les conservateurs des musées. Ces derniers ont bien sûr eu à cœur de rivaliser avec le Musée du Louvre. La montée de l’impérialisme prussien s’est en effet accompagnée de la volonté de doter la capitale d’un outil muséal, et surtout de collections dignes de la puissance du nouvel Empire. De cette ambition est née, sur la Spree, l’île des Musées, où autour de l’Altes Museum se sont progressivement ajoutées, à mesure que les collections s’agrandissaient, de nouvelles institutions, du Neues Museum au Kaiser-Friedrich Museum.
Austère de prime abord, l’histoire des musées est toujours riche de perspectives pour apprécier les débats actuels. La création de l’Altes Museum a ainsi vu s’affronter deux conceptions opposées sur l’accrochage des œuvres : l’une, défendue par le savant Wilhelm von Humboldt et inspirée d’une vision idéaliste de l’art, “voyait dans la mise en évidence des chefs-d’œuvre le principe directeur de l’installation”, tandis que l’autre, soutenue par le directeur des collections Gustav Friedrich Waagen, privilégiait une approche plus scientifique, avec une présentation par écoles. Comme le souligne Thomas W. Gaehtgens, “le débat s’enclencha sur la fonction d’un musée public, entre deux pôles d’intérêt, celui de la discipline de l’histoire de l’art et celui d’un public qui s’intéresse à l’art.” La querelle autour du “Musée des arts premiers” et de son antenne du Louvre vient de loin...
La seconde partie de l’ouvrage s’attache à plusieurs artistes allemands et interroge leur rapport à l’art français. À une époque où toute l’Europe a les yeux tournés vers Paris, l’Allemagne ne fait pas exception, même si ses élites font preuve de la plus grande hostilité envers la modernité, telle que l’expriment les Manet, Monet et autres Cézanne. Le peintre officiel de l’Empire, Anton von Werner (1843-1915), bien qu’il se soit constamment opposé au mouvement moderne, trop éloigné de ses préoccupations patriotiques, témoigne en revanche d’une véritable admiration pour Meissonnier, avec lequel il partage une conception anecdotique de l’Histoire. Max Liebermann se fait au contraire le promoteur de la vulgate impressionniste au sein de la Sécession berlinoise. On retrouve ces deux peintres dans la série d’articles traduits ici – avec plus ou moins de légèreté –, et au moment où le Centre Pompidou présente le travail de Robert Delaunay, Thomas W. Gaehtgens rappelle l’influence déterminante qu’a eue l’artiste français sur ses collègues allemands, séduits par sa vision déstructurée de la grande ville et la décomposition prismatique des couleurs.
Thomas W. Gaehtgens, L’art sans frontières, les relations artistiques entre Paris et Berlin, Le Livre de Poche, série “Références Art�?, 448 p., 70 F. ISBN 2-253-90559-3.
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Thomas W. Gaehtgens, L’art sans frontières, les relations artistiques entre Paris et Berlin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Thomas W. Gaehtgens, L’art sans frontières, les relations artistiques entre Paris et Berlin