Thème plutôt littéraire, le Voyage en Orient est relu à travers une riche et passionnante iconographie photographique d’époque, que propose Sylvie Aubenas, conservatrice de la photographie ancienne à la Bibliothèque nationale de France.
Le voyage en Orient est un genre en soi, commencé avec l’Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand, continué par Lamartine et Flaubert, puis Loti, ces deux derniers se signalant par l’acceptation ou l’usage de la photographie. À partir du moment où celle-ci peut être du voyage, à la fin des années 1840, le sens du pèlerinage change du tout au tout. On le voit bien avec Flaubert, qui est accompagné de son ami écrivain Maxime du Camp (1849-1851). Lorsque Flaubert musarde, prend des notes ou s’imprègne de l’esprit des lieux, Du Camp fait de la photo, une opération très complexe : grande chambre sur pieds, négatifs papier très lents. Si Flaubert affermit sa vocation d’écrivain, Du Camp devient l’un des grands photographes de son époque, au détriment de ses intentions littéraires – du reste, il est plus connu aujourd’hui pour ses images que pour ses textes ! Cette scène originelle est symptomatique de ce qui se joue avec la photographie : le prochain essor de “l’illustration”.
Les photographes, qui officient avec de plus en plus de facilités pratiques en Orient de 1850 à 1880 (la période retenue), se répartissent en deux catégories : les voyageurs individuels et occasionnels comme Du Camp, qui effectuent un pèlerinage plus ou moins vaste, aux intentions littéraires, ou exotiques, ou archéologiques, ou passéistes – pour “prendre contact avec les choses et les hommes d’autrefois”, selon De Vogüe –, et les professionnels, qui deviennent les fournisseurs des journaux, des documentations et de tous ces voyageurs qui ne photographient pas mais vont acheter des photographies.
Le choix de Sylvie Aubenas, conservatrice de la photographie ancienne à la Bibliothèque nationale de France, a le mérite de rechercher un rééquilibrage entre ces catégories, et une plus juste distinction de la qualité artistique, supérieure chez les “occasionnels”, quand les professionnels doivent offrir un échantillonnage plus convenu. Cela nous vaut un choix d’images qui ne sont pas rebattues, privilégiant d’abord les calotypistes tels Du Camp, Benecke – un étonnant crocodile mort, sur le pont d’une cange –, Teynard, Devéria, Cammas, De Clercq, Salzmann. Après un tel programme, la gageure est de tenir le niveau de qualité du regard – un certain étonnement que trahit le cadrage de la vue, par exemple – avec des professionnels qui n’ont pas pour programme de se faire plaisir, mais de satisfaire une clientèle. Soutenus par l’excellence de l’impression, Bonfils, Zangaki, Sebah, Dumas ou Béchard, bien connus des amateurs de photographie, font excellente figure et laissent une chance à un inconnu, E. Aubin, dont les nus féminins ne font pas mentir la réputation de sensualité qui motivait nombre de voyageurs.
Sylvie Aubenas, Jacques Lacarrière, Voyage en Orient, Bibliothèque nationale de France, Hazan, 212 p., 320 F. ISBN 2-85025-688-9.
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Sylvie Aubenas, Jacques Lacarrière : Voyage en Orient
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°91 du 22 octobre 1999, avec le titre suivant : Sylvie Aubenas, Jacques Lacarrière : Voyage en Orient