Le film de Frederick Wiseman, en salle le 8 octobre, pose un regard sociologique sur la National Gallery de Londres.
L’Américain Frederick Wiseman – 84 ans et une quarantaine de films à son actif – s’est attaché tout au long de sa carrière à dresser le portrait de grandes institutions. Avec National Gallery, le maître du documentaire livre sa première exploration du monde muséal. En 2012, il a filmé durant trois mois les espaces du musée londonien, accumulant 170 heures de rushes dont trois ont été conservées au montage.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et dans des festivals estivaux, National Gallery a parfois été résumé par une immersion dans les œuvres du musée. Coupés de toute fioriture (cadre, cimaise, cartel) par la caméra, les toiles et panneaux sont en effet très présents, plus expressifs que jamais. Mais le documentaire permet surtout d’observer les équipes du musée au travail. Sans qu’aucun commentaire ni indication textuelle ne soit jamais donnés sur l’identité des « personnages » – au spectateur de recueillir les indices (vêtements, attitudes, discours…) qui permettront de situer chacun sur l’organigramme – Wiseman est venu capter leurs gestes et leurs paroles. N’usant jamais de l’entretien, le réalisateur restitue la parole du personnel en situation, de la manière la moins transformée qui soit. La première partie du film s’intéresse particulièrement aux interventions des professionnels de la médiation. Une guide conférencière remet en contexte un retable du XIVe siècle d’une manière incroyablement vivante, ramenant l’œuvre dans l’église qui l’abritait, dans l’époque qui l’a créée, et réactivant la mentalité médiévale auprès d’un public du XXIe siècle. Plus loin, une autre explique à un groupe de jeunes, majoritairement Noirs, que le musée a pu enrichir ses collections avec l’argent de la traite négrière. Loin de distribuer aveuglément son savoir, la médiation adapte son discours à l’auditoire. Le souci de capter le grand public, fil rouge de la première partie du film, trouve son écho dans des extraits de réunions des équipes des musées, où la volonté de la responsable communication de s’adresser plus directement à « l’homme moyen » se heurte aux exigences scientifiques du directeur du musée. Plus le film avance, plus la parole délaisse le grand public et devient passeuse d’informations pointues. C’est un chemin accéléré vers l’érudition que semble proposer Wiseman. Les descriptions face aux œuvres se font plus techniques, le name dropping [allusion fréquente à des personnalités dans le but d’impressionner, ndlr] de peintres se libère. L’auditoire, qui défile lors de visites privées menées par les conservateurs du musée, devient connaisseur. On imagine des chercheurs, des mécènes, des sociétés d’amis des musées dans les lignes cravatées de ce public moins familial. Wiseman esquisse ainsi un passionnant portrait sociologique de la National Gallery qui, après le générique de fin, pourra apparaître comme un lieu ouvert vers tous les publics mais naturellement élitiste. Durant ces trois heures, les arts savants (musique classique, ballet) auront trouvé leurs places avec beaucoup de naturel au milieu des œuvres du musée, tandis que le fait d’effectuer des ponts avec des disciplines plus populaires a fait l’objet de plusieurs débats.
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Abonnez-vous dès 1 €Un documentaire de Frederick Wiseman en salles le 8 octobre 2014, 2013, 2h53.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Social Gallery