Celle d’un hongrois d’origine, Matégot, né en 1910 dans une famille paysanne. Après les Beaux-Arts à Budapest en 1925 où il croise Vasarely, il débute comme décorateur au Théâtre national. Après quelques voyages qui le mènent en Amérique, il se fixe à Paris en 1931 où son talent de dessinateur l’amène aussi bien à travailler pour la publicité, pour les décors des Folies-Bergère que pour la mode. Marie Cuttoli le recrute dans son staff de donneurs de modèles pour des tapis. Affecté pendant la guerre à la récupération des matières premières dans une usine allemande, c’est paradoxalement la captivité qui lui donne l’occasion de découvrir et bricoler la tôle perforée. À la Libération, le bricolage devient artisanat pour des petites séries.
Le couturier l’emporte sur le métallo avec la découverte du « rigitulle » en 1952, gaze rigide qu’il plie et gaufre, allie au verre, au fer, à la céramique (de Jouve). Donnant à sa table « rigitulle » la taille de guêpe d’une robe New Look (comme l’a vu si bien Constance Rubini dans son texte « De l’usine au décor »), et aux luminaires « satellite » la pesanteur de corps cosmiques. Désinvolture et légèreté, discrétion et humour, la Demon Table, la table Kangourou, les chaises Nagasaki n’encombrent ni l’espace, ni l’esprit. Les courbes et contre-courbes du siège Copacabana répondent à l’auréole perforée de leur table. L’ensemble combiné « intérieur-jardin » introduit la désinvolture dans l’intérieur. Le graphisme asymétrique des étagères Clé de sol ou Dédal font oublier les murs. Mobilier de transhumant, de « touriste dans les pays chauds », de client de « sport et climat », personnage modianesque, attendant sans y croire et sirotant un Pschitt-citron, le bimoteur à hélices sur la terrasse de l’aérodrome de Til Mellil près de Casablanca. Légèreté qui convient à la Saladière, snack-bar végétarien où l’on grignote de la laitue sur des tabourets arachnéens. Esthétique fragile que les photographies prises dans la villa Noailles, au modernisme trop présent, rendent moins que les mises en scène d’époque. Le chapitre final sur les tapisseries, par Frédéric Bodet, fait souhaiter une exposition d’ensemble sur les enfants de Jean Lurçat.
C’est à Pierre Staudenmeyer, qui a ouvert la voie il y a deux ans avec son opus La Céramique française des années cinquante, que l’on doit le Roger Capron céramiste, un des nombreux créateurs de Vallauris, resté dans l’ombre de Picasso.
Né à Vincennes dans une famille modeste, Capron intègre l’école des Arts appliqués en 1938 après l’obtention de brevet. René Gabriel l’encourage sur la voie de la fabrication en série. La vocation de potier, avec son ami Robert Picault, c’est d’abord l’attrait de la Côte d’Azur où ils peuvent exercer l’enseignement du dessin tout en prenant des cours de poterie, auprès de Macari, un représentant de la tradition « culinaire » à Vallauris.
Ils fondent Callis et fournissent des intermédiaires qui alimentent les « boutiques cadeaux-liste de mariage » des bonnes villes de France. Capron s’installe seul en 1952 dans une ancienne usine de poterie culinaire et ouvre boutique à Biot en 1955. C’est sa grande époque. Formes dodues et amples, décalées (le pichet à l’anse piètement, les bouteilles asymétriques), jeu subtil des rayures épaisses ou minces, opaques ou translucides, création de damiers par dessin d’une trame en réserve. Aux harmonies volontairement éteintes s’opposent des contrastes violents, noir et rouge. La fresque monumentale de la gare maritime de Cannes, 1958, démontre, par le jeu du positif et du négatif, des droites et des courbes, par les changements et combinaisons d’échelle un sens de l’architecture qu’il développe d’une façon plus industrielle avec ses panneaux combinables au décor « navette » permettant judicieusement, à partir d’un petit nombre d’éléments de faire œuvre de composition. Nous ne sommes pas très loin du travail de Ponti et on ne s’étonnera pas de savoir que Capron fut copié et pillé en Italie. Jamais la rigueur « op » n’empiète sur le « faire » et la « matière » de la céramique, même si l’ornementation « primitive » des années 1950 s’assagit et se normalise, la référence à Herbin ou Vasarely semble ici superflue. Lorsque la figuration s’impose, comme dans le décor du Byblos à Saint-Tropez, c’est un bestiaire populaire qui s’impose sur la piste de danse. Les revers économiques, fermeture de son entreprise en 1982, sont l’occasion pour Capron de se réduire et de s’adonner avec sa femme Jacotte et son collaborateur Jean-Paul Bonnet à une production plus « artistique ». De Picasso, dont il a eu du mal à oublier le répertoire trop présent dans les hybrides désarticulés, les taureaux et la relecture appuyée de la poterie antique, reviennent des formes organiques, désarticulées qui empruntent aussi à Brauner.
Ces sculptures récentes aux couleurs assourdies par l’enfumage plaisent à un public de collectionneurs tout acquis.
- Pierre Staudenmeyer, Roger Capron céramiste, préface par Antoinette FaÁ¿-Hallé, Norma éditions, 2003, 160 p., 50 euros. - Philippe Jousse, Caroline Mondineu (sous la direction de), Mathieu Matégot, textes de Caroline Mondineu, Constance Rubini, Karine Lacquemant, Frédéric Bodet, Jousse Entreprise éditions, 2002, 256 p.
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Roger Capron céramiste Mathieu Matégot
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Roger Capron céramiste Mathieu Matégot