« Sur la photographie de Lartigue intitulée Villerville, la cousine Caro et M. Planteville, sa cousine remonte ses jupes d’une façon « pratique et correcte », en attrapant les plis du tissu juste sous les fesses. Mais ce geste reste inaperçu de son compagnon qui regarde ailleurs. »
Voilà pour la mise en mots de la frustration qui nous agace à la lecture de Jacques Henri Lartigue. L’invention d’un artiste de Kevin Moore (Éditions Textuel, 335 p., 35 euros), car cette citation est l’unique renvoi à la photo miraculeuse où la composition, la lumière, l’instinct et l’œil du photographe se mêlent pour témoigner
de la perfection et de la beauté d’un moment volé à l’éternité. Jusqu’à la page 219 du livre, qui marque un tournant dans l’intérêt de la lecture, le lecteur suit une étude sociologique illustrée de photos de Lartigue dans laquelle ses ambitions techniques, ses passions sont réduites à : « Vers 1915, Lartigue a déjà accumulé un immense corpus d’images et la suite semble désormais évidente : il va entreprendre de raconter sa vie[…] par le truchement de la photographie. »
Heureusement, le ton change ensuite. L’auteur, sous couvert de régler son compte à l’ancien conservateur de la photographie au MoMA – John Szarkowski –, aborde une question qui nous taraude, à savoir comment définir le travail de Lartigue et quelle place lui donner dans l’histoire de l’art, en pointant du doigt une motivation squeezée par une ambition personnelle du conservateur américain, en l’occurrence : « Chercher à réinventer un passé pour authentifier un présent. »
Ainsi, « tirées de leur contexte d’origine – les albums –, et dissociées de leurs équivalents textuels – les agendas –, les images de Lartigue flottent dans l’espace vide d’une galerie contemporaine qui souligne leur acuité formelle. En exposant ces photographies de la sorte, Szarkowski révèle une approche d’un autre temps qui marquera de son empreinte sa carrière de conservateur : elle consiste à projeter les préoccupations critiques de la photographie contemporaine sur des images venues du passé qui n’ont jamais été conçues comme des œuvres d’art ». Ceci fut rendu possible par la pratique « des plus répandues consistant à organiser des expositions de précurseur… qui permet, par conséquent, non seulement d’authentifier les œuvres contemporaines et d’en faciliter la compréhension, mais aussi de créer une tradition de l’art moderne enrichie d’une nouvelle puissance d’expression qui la rend pertinente pour le présent ». Enfin ! Voilà le lecteur réveillé, vivifié par une pensée critique qui l’emmène au-delà de Lartigue pour lui faire toucher du doigt un problème d’actualité : la construction pure et simple de cotes – et donc de notoriétés – bien peu méritées par des jeux d’influence.
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Relire Lartigue
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Relire Lartigue