Le Centre d’édition contemporaine de Genève se replonge dans son histoire et interroge sa pratique.
« Dans un contexte où il ne suffit plus d’être visible mais où il faut de surcroît afficher sa visibilité, ce type de bilan tient de la survie “politique” et “sociale” », confesse Véronique Bachetta en introduction à l’ouvrage rétrospectif publié aujourd’hui par le Centre d’édition contemporaine qu’elle dirige, à Genève. La structure, qui s’est finalement prêtée au jeu conventionnel du catalogue, n’a jamais souscrit à l’art du « coffee table book ». L’ouvrage retrace dix-neuf années d’activité de l’institution genevoise, dix-neuf ans d’éditions, d’expositions, d’expérimentations, de rencontres, de collaborations. Mais aussi dix-neuf ans de lutte pour ne pas disparaître et continuer à tenir le cap d’une politique marginale soutenue à bout de bras par un fonctionnement financier indépendant. C’est cette politique – et un certain état d’esprit – que transmet le recueil de textes signés de critiques, artistes ou éditeurs partenaires du Centre, ainsi qu’une chronologie illustrée par des vues d’exposition et un réjouissant « album de famille ».
« Institution anti-institutionnelle »
Si l’histoire commence bien avant 1989, cette date correspond au virage pris par le Centre genevois de gravure contemporaine créé en 1966 (devenu « Centre d’édition contemporaine » en 2000) pour répondre à la « mutation accélérée » de l’art contemporain à la fin des années 1980. L’atelier d’estampe se transforme donc en un laboratoire de production et un lieu d’exposition ouvert à l’édition au sens large (livres d’artiste, imprimés, multiples). Le Centre invite alors de jeunes artistes comme Thomas Hirschhorn, Rosemarie Trockel ou Karen Kilimnik, qui semblent ouvrir une brèche. Il cultive la référence à des figures historiques, tels Marcel Broodthaers, qui « conservait une position lucide, humoristique et provocatrice face à l’art dit contemporain, son marché, ses nouveaux trucs et ses nouvelles combines », ou George Maciunas, cité dans la brillante analyse de Philippe Cuenat. Le Centre d’édition contemporaine réactive ainsi les utopies de ses aînés et revendique une position subtile : celle d’une « institution anti-institutionnelle ». À rebours des objectifs de rentabilité ou des normes muséales, la structure a eu pour seuls mots d’ordre, au cours de ces vingt dernières années, liberté et expérimentation – deux termes qui riment avec prise de risque. « Ainsi, nombreux sont les artistes qui ont pu faire au Centre ce qu’ils n’auraient jamais pu faire ailleurs », poursuit Véronique Bachetta.
Partage des tâches
Ces conditions seraient-elles inhérentes à ce champ particulier d’activité ? « L’édition [est] peut-être une des pratiques qui laisse le plus de liberté vis-à-vis du marché de l’art […] ou qui offre le plus de possibilités de détourner les termes habituels des échanges, qu’ils soient artistiques, médiatiques ou commerciaux. » À partir de cette remarque de Véronique Bachetta s’échafaude une réflexion à plusieurs voix sur la spécificité ontologique de l’œuvre éditée, et sa manière de rejouer la relation « auteur-œuvre-spectateur ». Plutôt que la perte de l’aura dans la reproductibilité, c’est la notion de « producteur » qu’il faut convoquer chez Walter Benjamin, comme le suggère Lionel Bovier, pour rediscuter le mythe de l’auteur. Selon Sylvie Boulanger, directrice du Cneai (Centre de l’estampe et de l’art imprimé, à Chatou), l’engagement artistique de l’auteur se situe ici dans « le fait d’assumer la spécificité technique de production et de distribution industrielle et postindustrielle » de l’œuvre. Ces conditions pratiques et économiques impliquent le déplacement de la signature dans le partage des tâches et l’appropriation directe par le spectateur/lecteur de l’œuvre publiée (« rendue publique »). Miroir grossissant de l’œuvre d’art dans sa définition élargie, le multiple serait-il le lieu privilégié d’une remise en question perpétuelle du statut de l’œuvre et de l’auteur ? C’est en tout cas ce à quoi s’emploie le Centre d’édition contemporaine jusque dans ses pratiques d’exposition. Celui-ci veille toujours à trouver de nouveaux dispositifs pour éviter que l’édition ne soit absorbée dans une nouvelle mythification de l’objet et de l’auteur (distribution gratuite dans la rue, self-service, colis postaux).
L’Effet papillon, outre qu’il pointe l’originalité de l’institution, raconte tout un pan de l’art récent en faisant la promesse que des causes discrètes seront suivies de grands effets.
L’EFFET PAPILLON : 1989-2007, éd. Centre d’édition contemporaine, Genève, 432 p., 30 euros, ISBN 978-3-905829-77-8.
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Quand l’édition donne des ailes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Quand l’édition donne des ailes