Réunissant des textes d’artistes, musiciens et critiques autour des rapports entre art et musique populaire, Prières américaines fait la part belle à l’explosion punk des années 1970 et à
ses déflagrations sociales et culturelles. Appétissant, ce corpus, qui réunit entre autres Mike Kelley et Kim Gordon, ravira fans et historiens de l’art.
Quels sont les points communs entre la critique rock et la critique d’art ? Des poses crâneuses, une érudition certaine et une obsession déconcertante à déceler filiations, tendances et mouvements. Pour le meilleur, Prières américaines réunit tout cela. Sur les brisées du Rock my religion et d’autres apports théoriques de Dan Graham sur la culture adolescente américaine, le recueil édité par les Presses du réel s’attache aux rapports entre musique et art. Si le dialogue entre culture noble et culture populaire a été perçu comme une problématique centrale dans les arts plastiques depuis la fin des années 1950, la décennie suivante a réellement été le théâtre d’une hybridation plus avancée entre les deux champs. La Factory de Warhol et son iconographie glamour ont été une étape de ce mouvement, la déferlante punk de la fin des années 1970 en constitue une autre. “Toute l’histoire qui a été écrite [de la musique américaine des années 1970] est un monceau de conneries. Ça ne se réduit pas à une histoire de lutte des classes. [...] Cela a beaucoup plus à voir avec la manière dont les gens utilisent certaines formes, et la codification des formes elle-mêmes. Et si personne n’a jamais écrit à propos de tout çà, c’est parce que cela a un lien trop évident avec l’art”, juge Mike Kelley, cité par Vincent Pécoil dans son introduction. Robert Nickas, Andrew Wilson et Kim Gordon – bassiste de Sonic Youth, prototype même du groupe arty – reviennent abondamment sur cette hypothèse. Leurs textes prouvent aisément que ces deux histoires n’en font qu’une. Nombre de groupes punk sont nés dans les écoles d’art et Nickas peut aisément construire une “Brève histoire du public” en mêlant performances d’Abramovic, concerts des Stooges et provocations de Public Image Ltd, John Miller reconsidérer les propositions pavillonnaires de Dan Graham à l’aune de la culture musicale banlieusarde, et Kim Gordon écrire sur Raymond Pettibon, Tony Oursler et Mike Kelley. “Trop jeune pour être un hippie, trop vieux pour être un punk”, le dialogue entre ce dernier et John Miller lève lui un voile sur le bagage culturel des deux artistes, et ressuscite les mouvements contestataires de l’Amérique blanche middle-class.
“Je n’ai même jamais peint quoi que ce soit durant mes études d’art. En fait, les années 1980 furent une époque parfaite pour moi pour commencer à faire de la musique”, explique pour sa part Christian Marclay. Plus proche du sillon du vinyle que du manche de la guitare, le Suisse, dans un long entretien, établit un glissement générationnel entre les stridences électriques et les applications numériques du sampler. L’article d’Andrew Wilson sur Jeremy Deller vient justement clôturer le tout avec une ouverture sur la musique électronique. Croisement social et culturel, le projet Acid Brass de Deller mêle la tradition ouvrière des orchestres de cuivre aux beats extasiés du “Summer of love” britannique de 1989. Déjà un souvenir. “C’est à ça que servent les disques, c’est une tentative vaine de retenir le passé. Le son est une bonne métaphore pour la vie”, pour paraphraser Christian Marclay.
- Collectif (sous la direction de Vincent Pécoil), Prières américaines, éd. Les Presses du réel, 192 p., 10 euros, ISBN 2-84066-068-7.
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Punks not dead
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Punks not dead