Une exploration de l’impact des arts extra-européens sur la photographie moderne à partir d’une collecte minutieuse de clichés.
Les répercussions et bouleversements exercés par les arts de l’Afrique, des Amériques, de l’Océanie et de l’Asie sur la peinture, la sculpture ou le dessin au lendemain de la guerre 1914-1918 ont fait l’objet de multiples études et publications diverses. Leur impact sur la photographie beaucoup moins et la plupart du temps de manière parcellaire ; alors que le médium a joué non seulement un rôle majeur dans l’évolution du regard porté sur les masques, statues et fétiches de ses sociétés – participant notamment au basculement de leur statut en objet esthétique – mais les a aussi assimilés, mis en scène. Depuis Alfred Stieglitz, Man Ray, Brassaï, Raoul Ubac ou Hannah Höch, des photographes et des artistes ont intégré dans leur propre création, questionnements et discours critiques. La parution aux éditions Trocadéro de l’ouvrage bilingue (français, anglais) Le primitivisme dans la photographie de Valentine Plisnier, historienne de l’art en ethno-esthétique, comble à ce titre un vide en s’interrogeant à partir d’œuvres de référence, produites de 1918 à nos jours, sur les sens que les photographes ont investis dans ces objets et sur ce qu’ils leur ont permis d’exprimer. Sortent toutefois de l’analyse, les clichés documentaires comme ceux de Walker Evans réalisés en 1935 au MoMA lors de l’exposition « African Negro Art » (à la demande du conservateur James Johnson Sweeney) ou les photographies plus récentes d’Agnès Pataux sur les féticheurs et les fétiches rencontrés au cours de ses voyages en Afrique en raison du caractère « objectif » des prises de vue. Le domaine d’investigation de Valentine Plisnier se limite aux créations artistiques.
Une classification méticuleuse
Un travail minutieux de collecte d’œuvres qui distingue trois types de pratiques et d’usages des arts extra européens – photomontage, photographie au sens strict et recours à des dispositifs photographiques (photogramme, rayogramme, Polaroid oxydé…) – et qui regroupe à l’intérieur de ces trois parties des œuvres d’époques, de continents et d’environnements différents au regard des similitudes dans leurs approches. Tous les auteurs regroupés ayant en commun d’avoir donné une autre vie et une nouvelle charge émotionnelle à ces œuvres, et contribué à nourrir, élargir les champs de la modernité photographique, comme le démontre de façon claire et illustrée l’auteur qui dissèque les approches et consacre une double page à chaque œuvre sélectionnée.
Dans la première partie du livre consacrée au photomontage, les œuvres d’artistes dadaïstes ou surréalistes et d’artistes contemporains d’origine européenne, africaine ou chinoise sont analysées pour mieux-être regroupées selon leurs critiques de la suprématie de l’art occidental, leurs ruptures avec les clichés de leurs sociétés, leurs combats contre les répressions ou leurs recherches identitaires. Telles les dénonciations des représentations stéréotypées de la femme d’Hanna Höch, ORLAN, Ellen Gallagher et Wangechi Mutu qui « ont en commun l’objectif de se réapproprier leur propre identité, voire l’inventer », souligne Valentine Plisnier. Cet éclairage appelle aussi la confrontation des cultures matérialisée par le cliché Black and White de Man Ray, le photomontage La galerie Van Lier d’Erwin Blumenfeld et le collage Les remparts de Jéricho de l’artiste et écrivain afro-américain Romare Bearden ajoutant à des visages, des découpages de papiers divers représentant notamment des têtes Edo et Iffé ou des ornements d’architecture.
La première partie rappelle – photos parfois à l’appui – le rôle des galeristes, des collectionneurs d’arts premiers, des historiens de l’art, des musées et des revues d’avant-garde dans cette création et qui met régulièrement en regard des œuvres les sources photographiques des photomontages ou des reproductions des objets utilisés dans le collage. En documentant et en analysant minutieusement chaque œuvre, elle tranche avec les deux autres parties de l’ouvrage aux œuvres rarement aussi bien décrits – une simple légende les accompagne la plupart du temps –, créant ainsi un déséquilibre et l’impression de rester sur sa faim. Alors que leurs textes, bien que brefs, invitent à comprendre les dynamiques apportées par l’insertion de ces arts dans le portrait et le nu, mais aussi les démarches pour « rendre sensible, visible, ce qui dépasse les sens » de ces masques, statues et fétiches.
Valentine Plisnier, 324 pages, format 215x280, bilingue (français, anglais), 75 €
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Primitivisme et photographie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Primitivisme et photographie