Il m’a semblé opportun d’approfondir ma réflexion sur le pouvoir thérapeutique de l’art en m’intéressant à la mémoire, et en illustrant mon texte par les œuvres que j’évoque. Quand on est touché par une création, cette dernière creuse des sillons dans la mémoire. Lorsqu’on la revoit, longtemps après, elle nous donne du bonheur et une partie de nous s’éveille. Ainsi, cette danseuse atteinte de la maladie d’Alzheimer qui avait perdu ses repères et son identité et qui, en entendant un air du Lac des cygnes, s’est mise à sourire et à esquisser les gestes du ballet qu’elle avait interprété dans sa jeunesse…
En effet ! C’est l’historien d’art allemand Aby Warburg (1866-1929), fondateur de l’iconologie, qui parle le premier de « vaccination ». Interné longtemps en psychiatrie, il s’est soigné lui-même, dans les années 1920, en utilisant lors d’une conférence ses souvenirs d’un séjour chez les Indiens d’Amérique : le récit de leur danse de la pluie, les images de serpents tenus entre les dents, symbolisant la foudre, l’ont libéré des monstres qui l’habitaient. Enfant, alors que sa mère avait frôlé la mort, la lecture des romans de Karl May racontant la vie de l’Apache Winnetou l’avait déjà relevé de son traumatisme… Cette expérience a constitué comme une « vaccination » contre les turpitudes qu’il devait traverser plus tard, annonçant le retour de ses Indiens protecteurs. À sa sortie de la clinique, il a pu reprendre ses brillantes recherches !
L’art a le pouvoir de nous ouvrir aux pensées d’autrui, et nous donne ainsi accès à une mémoire de l’humanité. Face à une œuvre, on se retrouve dans l’état d’esprit de celui qui l’a créée. Notre cerveau considère en effet les œuvres comme des entités biologiques. En regardant un Rembrandt, on est en communication avec l’artiste. On active ainsi non seulement notre mémoire, mais aussi celle de l’humanité, depuis son origine. À travers l’art, on communique avec ce qui est essentiel, en amont du langage. C’est une épiphanie.
Pour envisager l’avenir, il faut avoir conscience du passé. Si on parvient à retravailler notre passé, qui peut être douloureux ou traumatique, à travers l’art, et se le représenter de façon magnifiée, on évite de tourner en rond : nos grands soucis deviennent plus petits, et on peut amorcer une guérison.
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Pierre Lemarquis : « L’art active non seulement notre mémoire, mais aussi celle de l’humanité »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Pierre Lemarquis : « L’art active non seulement notre mémoire, mais aussi celle de l’humanité »