Mal connu du public et diversement apprécié, Philippe de Champaigne se voit honoré, simultanément, par une exposition (lire p. 6) et par la publication, chez Hazan, d’un essai de Louis Marin, directeur d’études à l’École des Hautes Études, disparu en 1992.
Flamand d’origine et français d’adoption, refusant d’entrer chez Rubens et négligeant d’aller en Italie, bien en cour et marginal janséniste, Champaigne a toujours fait figure d’inclassable. Voluptueux dans sa manière – moins que Vouet – mais austère dans son propos – plus que Poussin –, le peintre de Port-Royal s’est toujours dérobé à l’analyse des historiens, et l’imposante monographie que lui consacra Bernard Dorival, en 1976, fut le dossier d’instruction d’une affaire depuis lors demeurée pendante.
Autant dire qu’un essai intitulé Philippe de Champaigne ou la présence cachée avait de quoi séduire l’amateur pour qui l’étude de la peinture du XVIIe siècle est, aussi, le lieu d’un accomplissement et d’un partage par voie démonstrative – ce qui, sans doute, est l’un des ressorts du classicisme à la française – et non, seulement, l’occasion d’une délectation purement hédonique. Cette peinture fait sens, particulièrement, et les ouvrages récents d’une Jacqueline Lichtenstein ou d’un Marc Fumaroli l’ont suffisamment démontré.
Mais, justement, au regard de cette littérature, l’essai de Louis Marin est décevant. Cela tient à la fois au sujet lui-même et à la façon dont il est abordé : éminemment spirituel, le sujet touche directement au Verbe et à sa mise en œuvre, c’est-à-dire à l’abolition de tout concept en son contraire et à l’élévation de l’un et l’autre conjoints au Mystère. Nécessairement spéculative, l’approche se devait d’éviter toute opposition manichéenne prétendant ainsi développer ou résoudre le Mystère.
Pour prendre un exemple, "développer ou résoudre" c’est, nous aurait dit Louis Marin, la même chose. Il aurait eu raison. Mais la figure de rhétorique nous est trop familière pour être répétée, polymorphe, durant 350 pages d’une laborieuse démonstration : "Le cadavre est articulé par démembrement", ou encore : "Il y a donc bien du non-représenté dans la représentation, mais qui se résout en visible par délégation". Voilà qui est un peu simple – et daté – et qui, loin d’épaissir le Mystère dont l’auteur veut faire la preuve, le réduit à une pure formulation scolastique et le fait disparaître.
Champaigne n’est guère mieux traité, hélas, que ce Mystère dont il fut lui-même le bras, et bien souvent, l’auteur aliène tout bonnement les œuvres du peintre à la logique interne de son propre discours. Associer sans ambages Champaigne à Van Eyck au nom d’un "habitus flamand" relève d’une analyse pour le moins rapide de leurs techniques respectives. À l’inverse, nombre d’analyses – touchant notamment au paysage ou au portrait – reposent sur le constat de caractéristiques communes à d’autres peintres de la même époque.
Au fond, Louis Marin réduit la peinture à l’image : il expose, en une sorte de théologie de l’icône, la tension obligée de Dieu à sa figuration – c’est-à-dire à son incarnation –, et prend presque incidemment le peintre à témoin, au titre de fameux illustrateur de Port-Royal. Une esthétique janséniste, peut-être, mais de Philippe de Champaigne, c’est à voir : la présence cachée est bien autant celle du peintre que celle de Dieu.
Louis Marin, Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Hazan, 350 p., 345 F.
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Philippe de Champaigne et l’esthétique de Port-Royal
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Philippe de Champaigne et l’esthétique de Port-Royal