Fénéon intime
Félix Fénéon fut non seulement l’un des meilleurs critiques d’art du siècle mais surtout un merveilleux écrivain, auteur entre autres des incroyables Nouvelles en trois lignes, où son esprit de finesse et de cruauté mélangées trouve sa plus parfaite expression. Collaborateur de la galerie Bernheim Jeune, il rencontre Jacques Rodrigues-Henriques, qui ouvrira sa propre galerie en 1922, avec lequel il entretiendra un échange épistolaire professionnel et amical que l’on doit, à l’invitation de l’éditeur, lire entre les lignes.
Félix Fénéon et Jacques Rodrigues-Henriques, Correspondance, 1904-1942, éditions Séguier, 152 p., 185 F.
Duchamp deux fois
Marcel Duchamp a mesuré avec autant de parcimonie ses interventions orales que sa production visuelle. Les trois entretiens, traduits pour la première fois en français, sont ainsi d’un grand intérêt. On y retrouve le même détachement qui caractérise son échange avec Pierre Cabanne à la fin de sa vie. L’air de rien, maître dans l’art de la digression, il met en place une redoutable fiction de l’artiste en brouillant les cartes avec perversité. "L’art, dit-il à Dore Ashton, s’abaisse au niveau des gens qui jasent dessus." Disant ailleurs son intérêt pour Bouguereau, il force le trait de ses contradictions qui ont conduit des générations d’artistes à la plus insondable perplexité.
- Dore Ashton, Rencontre avec Marcel Duchamp, L’Échoppe, 24 p., 27 F.
- Marcel Duchamp, Deux interviews new-yorkaises, L’Échoppe, 24 p., 27 F.
Le monochrome frivole
"Je fus très critiqué, écrit Rudi Fuchs, directeur du Stedelijk Museum d’Amsterdam, et on me tourna même en ridicule lorsque je soutins que l’art moderne en tant que style touchait peut-être à sa fin – mais quand je vois les peintures de Günther Förg, cela ne fait que me renforcer dans mon idée." La peinture d’aujourd’hui demanderait alors moins de nouvelles théories esthétiques qu’un nouveau comportement face à l’art, et c’est ce que l’auteur tente d’esquisser dans un texte recomposé qui reste impressionniste. Un autre volume devra maintenant être dédié à la critique après le Modernisme.
Rudi Fuchs, Après le Modernisme ou l’insolence de Günther Förg, L’Échoppe, 64 p., 80 F.
L’art d’Amérique
Sont reprises dans cet Hôtel des Amériques un certain nombre d’études publiées dans différentes revues et consacrées à Joseph Cornell, Willem De Kooning, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, parmi d’autres. D’archétype en archétype, procédant par touches brèves, l’auteur recense les apports du Nouveau continent dans l’art moderne. Manque sans doute à ce livre une introduction, une vue plus globale et synthétique qui aurait assuré la cohérence des choix.
Florence de Mèredieu, Hôtel des Amériques, éditions Blusson, 112 p., 95 F.
Un monde sans pareil
Philosophe et discrètement poète, professeur honoraire à l’université de Lyon, Henri Maldiney a consacré de nombreuses études à l’art, marquées par la volonté de restituer l’expérience métaphysique qu’autorise la peinture. Ce recueil d’articles consacrés à Tal Coat, de 1949 à aujourd’hui, témoigne de l’indéfectible fidélité de l’auteur et de la continuité de ses préoccupations, qu’il livre toujours avec tact. "La peinture et le monde, écrit-il, ne se font pas face, ni ne se conjoignent à l’interface. Leur rapport est une intériorité réciproque par où chacun se porte à soi." La vision qu’a l’auteur de l’art est alors inséparable d’une exigence intime, d’une morale sans cesse recommencée du regard.
Henri Maldiney, Aux déserts que l’histoire accable, l’art de Tal Coat, Deyrolle éditeur, 208 p., 149 F.
Le cinéma dans le décor
Le septième art n’avait que trente-quatre ans lorsque Robert Mallet-Stevens consacra au décor cinématographique quelques études rassemblées dans ce volume. Attentif aux contraintes spécifiques de la caméra, l’architecte, qui collabora à plusieurs films dans les années vingt, établit d’abord de simples et lumineuses distinctions entre l’art du décorateur au théâtre et au cinéma : contraintes créatrices, dès lors que l’absence de relief nécessite certaines exagérations qu’il s’agit de maîtriser au mieux des intérêts du spectacle. Les avancées du décor virtuel et des effets spéciaux n’enlèvent pas son actualité ni son intérêt à ce recueil.
Robert Mallet-Stevens, Le décor au cinéma, éditions Séguier, 64 p., 58 F.
L’ultime jardin
Plasticien, Derek Jarman est surtout connu comme cinéaste à travers ses films Wittgenstein, Blue, Edward II, Caravaggio… Il est décédé des suites du sida en 1994. Alors qu’il se savait malade, il décida d’acheter une petite maison, Prospect Cottage, perdue au fin fond du Kent et d’y créer un jardin. Passionné de botanique, il tint un journal de jardinier. Ce texte illustré par des photographies de fleurs, d’arbres, de pierres, de coquillages relate avec émotion l’histoire du lieu. Plus le jardin florissait, plus il prospérait, plus la vie de Derek Jarman s’étiolait.
Derek Jarman, Un dernier jardin, photographies d’Howard Sooley, éditions Thames & Hudson, 144 p., 150 photographies, 135 F.
Baselitz de la tête aux pieds
Les entretiens de Baselitz avec Darragon sont aussi déconcertants par les arguments qui y sont développés que par leur ton et une discontinuité délibérée. Interrogeant le peintre sur ses goûts, sur ses références esthétiques et idéologiques, l’interviewer aborde peu les œuvres elles-mêmes, ce dont le peintre ne s’offusque jamais. Au contraire, semble-t-il. Ici et là, le peintre découvre les angles d’une pensée volontiers provocante et qui cultive un mépris amusé vis-à-vis de certains clichés de la modernité. Abstraction, religion, ornement, action : le peintre allemand le plus controversé de ces trente dernières années, dont on verra une rétrospective à l’automne au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, s’exprime sans tabous.
Georg Baselitz, Charabia et basta, entretiens avec Éric Darragon, éditions de l’Arche, 192 p., 125 F.
Rectificatifs
Courbet et Courbet. Une erreur s’est glissée dans notre compte rendu de la correspondance de Courbet (JdA n° 26, juin 1996). Ce n’est évidemment pas, comme nous le signale Jacques Foucart, conservateur au Musée du Louvre, en hommage au peintre que la Marine nationale a baptisé une frégate, mais en reconnaissance des services rendus par l’un des siens, l’amiral Courbet (1827-1885), qui s’est notamment distingué en Chine sous la Troisième République. Enfin, nous avions omis dans cet article de signaler les activités du Musée Courbet, sis dans la ville natale du peintre, à Ornans, qui, sous le titre "Courbet, l’amour…" présente jusqu’au 28 octobre cinquante œuvres du maître relatives au thème de la féminité. .
La collection Photo Notes (éditions CNP) comporte 9 titres, et non 19, comme indiqué par erreur dans l’article consacré aux livres de poche pour l’art dans le JdA n° 27 (juillet-août), page 49.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Notes de lecture