À l’occasion d’une résidence à Kyoto en 2008, l’auteur du Bibendum céleste et de Léon la Came s’est essayé au genre du carnet de voyage qu’il publie aujourd’hui aux éditions du Chêne.
Stéphanie Lemoine : Dans quel contexte avez-vous élaboré les Carnets de Kyoto ?
Nicolas de Crécy : Il y a plusieurs étapes dans l’élaboration de ces carnets. En 2004, je suis allé au Japon à la demande de Casterman dans le cadre d’un ouvrage collectif sur ce pays. J’étais à Nagoya, une ville pas vraiment passionnante. Les premières pages du Journal d’un fantôme relatent ce périple, dont le caractère trop rapide m’a beaucoup frustré. En 2008, j’ai donc postulé pour une résidence à la Villa Kujoyama. Mon projet initial était de travailler autour de la narration dans les mangas, genre que je connaissais mal. Mais une fois sur place, j’ai senti toute l’ineptie de rester entre quatre murs pour travailler dans le studio. J’avais envie de mieux connaître le pays. Je suis donc sorti ; je me suis promené dans les montagnes alentour, j’ai parcouru la ville à vélo avec mon carnet de croquis. Dessiner sur le motif m’a paru une démarche naturelle, et ce d’autant plus que je ressentais le besoin de m’affranchir de la narration et de tous les tics liés à la bande dessinée pour mieux revenir aux sources du dessin. J’avais la chance d’avoir du temps – cinq mois – et n’ai donc pas été tenu d’aller, comme on le voit dans certains carnets de voyage, au plus convenu.
S.L. : Comment avez-vous abordé le dessin ?
N.C. : Cette volonté d’un retour aux sources m’a d’abord conduit à employer les techniques les plus diverses : fusain, encre de Chine, aquarelle... Quatre-vingts pour cent de mes dessins sont faits sur le motif. Seuls quelques-uns sont exécutés d’après photo. Mais ces derniers me plaisent moins : ils sont un peu trop lourdement illustratifs. Aucun des dessins n’a été conçu en vue d’un projet éditorial, dont l’idée n’a émergé qu’en 2010. Ils ont d’abord existé sous forme de blog, j’aimais cette immédiateté. Heureusement d’ailleurs que je n’ai pas eu à l’époque de projet de livre, car j’aurais probablement fait les choses autrement, de manière plus spectaculaire sans doute. Ce n’est que bien après mon retour en France que j’ai retrouvé les dessins, et la nostalgie que j’ai ressentie m’a donné envie d’en faire quelque chose.
S.L. : Comment se sont esquissés les contours de l’ouvrage ?
N.C. : Les dessins que j’ai rapportés de Kyoto étaient disparates : mes carnets étaient de toutes tailles et s’y ajoutaient quantité de feuilles volantes. Je voulais que ce carnet soit comme une balade. J’avais d’abord rangé les dessins par thèmes puis les graphistes des éditions du Chêne, avec leur regard neuf, ont proposé un itinéraire.De même, il était important de montrer la matérialité des carnets et de faire comprendre comment chacun d’eux avait été conçu. Je voulais me distinguer de ces carnets de voyage où l’on devine que l’auteur a d’abord pris des photos pour en faire des dessins une fois rentré chez lui. Quant à la forme, je voulais que l’ouvrage ressemble à ces livres de photographie qu’on trouve en nombre au Japon – des livres à la mise en page sobre, au papier très doux. Je voulais quelque chose de léger, même si la couverture contraste avec cette légèreté.
S.L. : Ce modèle explique-t-il que l’ouvrage comporte aussi nombre de photographies ?
N.C. : La photographie a toujours nourri mon travail, et pas seulement pour des raisons documentaires. Les clichés de Giacomelli, par exemple, sont pour moi une source d’inspiration, notamment quant à la manière de composer une image…
S.L. : Les carnets sont tendus entre la réalité quotidienne la plus prosaïque et la présence discrète et fantastique des yokai, ces monstres omniprésents dans la culture japonaise. Pourquoi avoir choisi d’articuler les deux ?
N.C. : La vie quotidienne au Japon est très différente de la nôtre. À Kyoto, un simple café prend une ampleur poétique car je le regarde avec un œil neuf, ce dont je ne suis plus capable à Paris, où la moindre chose m’est trop familière. Et puis Kyoto est une ville très touristique, de sorte que dessiner un temple exige de faire abstraction des cars bondés et des boutiques de cartes postales. Il y a malgré tout des temples dans les Carnets, mais ce sont ceux, au charme fou, qui se trouvent à l’écart des circuits traditionnels. Quant à ma volonté de représenter des monstres, elle tient à ce qu’ils tranchaient avec ce que j’avais directement sous les yeux. Et puis les monstres et autres gens bizarres m’ont toujours fasciné. Malgré tout, ils sont assez discrets dans les Carnets, car je voulais éviter tout systématisme.
S.L. : Vous citez volontiers l’expressionnisme comme l’un de vos modèles. Votre séjour au Japon a-t-il été l’occasion d’un dialogue avec une tradition picturale différente ?
N.C. : Le dessin occupe au Japon une place prépondérante, bien plus que d’autres arts. Au moment où j’étais à la Villa, se tenait au Musée des beaux-arts de Kyoto une exposition de Kyosai, artiste du XIXe siècle mal connu en France. J’ai trouvé fascinant son univers peuplé de monstres, empreint d’humour et de grotesque. J’avais aussi à l’esprit les dessins de Miyazaki, héritier direct de cette mythologie japonaise si riche.
S.L. : Quelle place les Carnets occupent-ils dans votre travail ?
N.C. : Chaque livre est une expérience. Celui-ci voulait témoigner d’une rencontre toute singulière avec la beauté du Japon et son mystère. C’est aussi une expérience graphique : une manière de réapprendre la liberté de dessiner.
Editions du Chêne, 160 p., 35.90 euros.
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Nicolas de Crécy - Ses carnets de Kyoto
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Nicolas de Crécy - Ses carnets de Kyoto