Une étude passionnante analyse la place de l’enfant dans l’art occidental, du Moyen Âge à nos jours.
Il y a quelques années paraissait un ouvrage signé par la féministe australienne Germaine Greer sur la figure de l’éphèbe dans l’art (The Beautiful Boy, éd. Rizzoli, 2003). Dans cette étude sur le genre, l’adolescent y devenait un objet de fantasme visuel auquel les femmes devaient pouvoir avoir droit. Intéressant mais – volontairement – réducteur. De vocation encyclopédique, L’Enfant dans la peinture offre une étude complète sur la place de l’enfant dans l’art occidental, du Moyen Âge à nos jours. Trois auteurs (Nadeije Laneyrie-Dagen, professeure d’histoire de l’art à l’École normale supérieure ; Sébastien Allard, conservateur en chef au département des Peintures du Musée du Louvre ; Emmanuel Pernoud, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris-I [Panthéon-Sorbonne]), dressent un panorama chronologique richement illustré de cette figure mouvante, qui n’a cessé de gagner en importance aux yeux des artistes.
Style enlevé
Quel chemin parcouru depuis « l’enfant » Jésus, adulte au format réduit sur les genoux de sa mère, dans la Maestà di Ognissanti de Giotto (v. 1305) et le bébé gribouillant sur le sol, regard malicieux et fesses à l’air, de la peintre Marlene Dumas (In the Beginning, 1991)… Dans un style enlevé et accessible au plus grand nombre, les auteurs décodent les images qui jalonnent ce parcours, tout en livrant une étude sur la famille nucléaire et la vie domestique. Au XIVe siècle, l’enfant, plus particulièrement le nouveau-né, est un être méconnu des artistes – qui ne s’en occupaient pas. Un peu comme ces animaux sauvages dont ils entendaient parler, et qu’ils représentaient de manière approximative. La figure de Jésus est la matrice de la figure enfantine. Nadeije Laneyrie-Dagen relève d’ailleurs la divergence entre l’école du Nord, qui voit le nourrisson divin comme un être sans défense, et l’école italienne, pour laquelle il est la personnification de la sagesse.
Plus tard, dans les scènes de genre, dans les portraits de famille ou individuels, le garçon est mis en avant ; sa virilité aussi, qu’il assiste son père artisan, qu’il se prépare à hériter d’un titre de noblesse ou qu’il se destine à être maître de guerre. La fille, elle, n’est nullement un modèle éducatif, elle doit rester en dévotion, sa virginité est sacralisée et ses bonnes mœurs soulignées.Le plus intéressant est que l’enfant est « illustré » à travers les âges en fonction de la place qu’il occupe dans la société. Il est « un petit animal borné préoccupé par la satisfaction de son corps » dans la peinture flamande du XVIe siècle ; un être autonome épargné par la corruption au siècle des Lumières ; une force d’émancipation pour les artistes d’avant-garde de la fin du XIXe siècle. Il est encore le symbole d’une œuvre d’art, dont la gestation été douloureuse, pour les primitivistes. Lorsqu’il finit par devenir un être lisse, insipide, dont l’innocence incite, dans l’iconographie pop du XXe siècle, à la consommation de masse, l’enfant révèle l’emprise que l’adulte (et son regard) a sur lui. Cette question de pouvoir est sous-jacente tout au long de l’ouvrage. Décelée par Goya, qui exprime avec subtilité la souffrance des petits déguisés en adulte, la force intérieure de l’enfant apparaît pour la première fois chez Géricault. D’autres lui ont emboîté le pas, tel Picasso, pour représenter l’enfant dans son monde, maître de ses pensées, à mille lieues de la vie d’adulte.
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Nadeije Laneyrie-Dagen, Sébastien Allard, Emmanuel Pernoud - « L’Enfant dans la peinture »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Nadeije Laneyrie-Dagen, Sébastien Allard, Emmanuel Pernoud - « L’Enfant dans la peinture »