Éblouissante, la publication que la Bibliothèque nationale de France réserve aux papiers peints, conçus en France au seuil du XIXe siècle et conservés par ses soins, exhume et exhausse un monde en couleurs. Sublime.
Au nom des « beaux-arts », cette étrange locution réputée souveraine, l’histoire de l’art a longtemps tenu éloignés des domaines ancillaires qui, à force d’études, souvent remarquables, font désormais valoir leurs propres lettres de noblesse. La tapisserie et la dominoterie – on pense aux différents opus de la stupéfiante somme publiée ces dernières années par les Éditions des cendres – ne sont plus des « arts mineurs », elles constituent des champs à part entière, susceptibles de féconder la peinture ou la sculpture au même titre que la gravure et le dessin, dont elles procèdent pour partie.
Cet ouvrage ne saurait être une somme exhaustive : il doit son existence à la législation révolutionnaire du 19 juillet 1793, laquelle permet aux fabricants de papiers peints de déposer auprès de la Bibliothèque nationale des exemplaires des créations qu’ils souhaitent voir protégées de la contrefaçon. Ce faisant, les échantillons ici convoqués proviennent tous de la collection de la Bibliothèque nationale de France, dûment enregistrée entre 1798 et 1805. Cette enceinte chronologique, possiblement frustrante, permet, bien au contraire, une étude extrêmement précise des conditions de réalisation et de diffusion des papiers peints, soumis à une inflation révélatrice des bouleversements affectant une société dans son ensemble.
Brochée, la présente publication se distingue par son grand format (23 x 33 cm) qui, adapté au déploiement à taille réelle de certains papiers peints, autorise à approcher leur réalité et leur volupté physiques, à donner corps à ces surfaces irrégulièrement planes. La couverture satinée, agrémentée de deux rabats, héberge en première le détail d’un motif répétitif à branchages ascendants, conçu par la manufacture Jacquemart et Bénard, et dont les chatoyantes fleurs de fantaisie s’entremêlent avec les blanches lettres du titre de l’ouvrage. Cette subtilité graphique, signée Cyril Cohen, de Volume Visuel, ne sera jamais démentie, ce que confirment la quatrième de couverture, tout à la fois sobre et élégante, ainsi que les deux cent vingt pages, épaisses et non numérotées, composant le cœur vibrant de l’odyssée.
À l’inutile préface du décorateur et designer Vincent Darré, sous la forme d’un souvenir d’enfance singeant une remémoration proustienne, succède une passionnante introduction de Christine Velut, spécialiste des papiers peints de 1750 à 1820, auxquels elle consacra une thèse parue en 2006. Intitulé « Mobiles comme la mode », ce texte liminaire explicite limpidement un faisceau d’enjeux : l’essor considérable du papier peint au seuil du XIXe siècle, conforme aux exigences d’une société de consommation naissante, l’évolution des conditions d’habitat, la mutation des ressources foncières, l’étonnante adaptabilité de la main-d’œuvre ouvrière, l’élaboration d’une mode sacrant le règne de l’éphémère et de la nouveauté au détriment du solide et durable.
Si les foyers rouennais, orléanais ou lyonnais – également mobilisés par les soieries – sont particulièrement vivaces, l’épicentre du papier peint demeure Paris, avec sa bourgeoisie dispendieuse, sa concentration professionnelle, sa mobilité sociale et sa ductilité industrieuse. Examens techniques, considérations immobilières, renforts publicitaires, versatilité de la mode comme de la réputation : ne négligeant rien, l’auteure dessine une vaste histoire du goût et des idées, à l’heure où la société française, reconsidérant son image, repense inévitablement son intimité. À coups d’écrits et de peintures, de papiers et de couleurs…
Les dix séquences de l’ouvrage composent un répertoire de motifs mettant au jour la variété des papiers peints – « Imitations des matériaux », « Univers textile », « Arabesques », « Animaux et fruits », « Varia ». Chaque ensemble s’ouvre par un texte synthétique ainsi que par une double page légendant tous les motifs appelés à s’épanouir sur les pages suivantes à la faveur de détails ou de changements d’échelle. Cinq essais, intercalés sur un joli papier glacé, abordent des questions éminemment concrètes relatives à la technique, à l’iconographie, à la commercialisation, à la propriété intellectuelle et au contexte révolutionnaire de ces nombreux papiers peints dont le lecteur, à n’en pas douter, savourera la fraîcheur inouïe – leur dépôt au département des Estampes et de la Photographie de la BnF les a soustraits aux préjudiciables « injures de l’air ». « Papiers tontisses », « poudre de laine », « bleu de Prusse », « carnets d’adresses », « commodités à l’anglaise » : par son champ lexical, par sa savante méticulosité, par les gestes qu’il ravive et les corps de métier qu’il convoque, par son goût de l’exemple et de la nuance, cet ouvrage exhausse un monde nouveau, et déjà perdu, un monde haut en couleur, entre Diderot à Balzac. Poétique et merveilleux.
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Murs de papier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : Murs de papier