Actualité de l’édition et des expositions, deux photographes ô combien différents se retrouvent en librairie et sur les cimaises parisiennes. Sebastião Salgado mène un nouveau combat en faveur des populations victimes de l’exode, tandis qu’Herbert List se complaît dans l’éloge de la beauté.
À cinquante-six ans, Sebastião Salgado est le Titan du photojournalisme. Alors que ses confrères se plaignent de ne plus pourvoir exercer leur métier que superficiellement, lui réussit à mobiliser les énergies et les fonds pour s’attaquer à des sujets planétaires et les traiter sur la durée. La Main de l’Homme (1993) avait déjà impressionné par l’ampleur de son thème : une fresque des travailleurs manuels dans le monde. Certaines images, comme celles des chercheurs d’or brésiliens agrippés à leur mine, font désormais partie de la mémoire photographique. Avec Exodes et Les Enfants de l’exode, le militant brésilien, installé à Paris, est passé à une autre échelle : un chantier photographique de six ans, mené neuf mois sur douze à travers 47 pays, une logistique assurée par sa propre agence, Amazonas Images, des soutiens renforcés de Kodak, Leica… En retour, deux ouvrages édités en France, aux États-Unis, en Allemagne, au Brésil, en Espagne, en Italie, au Portugal, des publications dans des magazines du monde entier, un “kit” de 60 posters, une série d’émissions sur Canal (lire le JdA n° 101), une tournée d’expositions dans huit pays, dont l’une fait halte pendant plus de quatre mois à la Maison européenne de la photographie ! Est-il possible d’échapper à Salgado ? Cette emprise ne peut qu’aviver les jalousies, renforcer les questions sur la sincérité de son engagement, sur son esthétisation de la souffrance des populations déplacées. Le succès est là, il a son prix. Salgado n’invente pas un langage photographique. Il livre des icônes lisibles par le plus grand nombre, chargées d’émotion, diffusées en masse par le papier ou la télévision, ou remarquablement servies par l’imprimeur de ses livres (Jean Genoud). Il recherche les ciels bas et lourds, les contre-jours, il aime capter sur ses sujets en détresse une lumière divine qui leur ouvrirait le royaume des cieux… Ses images, par leur cadrage aussi, rappellent la peinture religieuse, ce qui facilite encore la transmission de leur noble message. Pour Salgado, la beauté est un moyen de faire passer ce message. Chez Herbert List (1903-1975), elle est une finalité. L’édition de son œuvre complet, qui porte comme sous-titre Éloges du beau, ne ment pas. Se succèdent 250 images, magnifiant aussi bien des ruines grecques ou romaines que de jeunes Apollon, des écrivains et des artistes… Jeu des formes, des arrondis, des angles, des lumières… La beauté n’est pas accidentelle ou suggérée, elle est systématiquement recherchée. Une photographie isolée peut séduire, leur accumulation, comme chez Salgado dans un autre registre, peut vite provoquer un ennui certain.
- Sebastião Salgado, Exodes, 432 p., 580 F, ISBN 2-7324-2606-7, Les Enfants de l’exode, 112 p., 250 F, ISBN 2-7324-2605-9, tous deux aux éditions de la Martinière. Exposition jusqu’au 3 septembre à la Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tlj sauf lundi, mardi et jf 11h-20h.
- Herbert List, Éloges du beau, sous la direction de Max Scheler, Le Seuil, 320 p., 490 F, ISBN 2-02-038738-7.
Exposition jusqu’au 11 juin à l’Hôtel de Sully, 62 rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tlj sauf lundi 10h-18h30.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : Moyen ou finalité ?