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Coffret

Marius de Zayas, le passeur

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 26 mai 2021 - 505 mots

Tout commence au 291 de la Cinquième Avenue. C’est là, dans la petite Galerie 291 et la revue du même nom, que Steichen, Picabia, Paul Burty Haviland… initient New York, et par conséquent l’Amérique, à l’art de Cézanne, Rodin, Picasso, Matisse, Brâncuși, etc.,  comme à l’art africain.

Parmi eux, un certain Marius de Zayas (1880-1961), caricaturiste originaire de Veracruz au Mexique, venu vivre à New York en 1906 pour fuir la dictature de Porfirio Díaz, n’a pas eu les faveurs de la postérité. Et pourtant... L’année de son arrivée, le dessinateur reçoit dans son atelier la visite d’un homme : Alfred Stieglitz, le directeur de la galerie Photo-Secession, la fameuse Galerie 291, qui l’exposera en 1909. Entre les deux hommes naît une amitié qui va participer à bouleverser l’histoire de l’art américain. En 1910, en effet, après un voyage de 13 jours, Zayas débarque à Paris. Il visite le Salon d’automne, découvre la peinture « cubiste » d’un peintre « espagnol » et fait part de son enthousiasme à Stieglitz, ouvrant la voie à la première exposition Picasso aux États-Unis en 1910. Enthousiasmé par ce qu’il découvre, Zayas rencontre les modernistes et partage ses découvertes avec Stieglitz. En 1914, après quelques lignes consacrées au poète Apollinaire, il lui écrit ainsi : « Je travaille dur pour faire comprendre à ces gens l’utilité d’un échange d’idées avec l’Amérique. Et je veux observer l’esprit de ce qu’ils font pour l’apporter au “291”. » En 1916, Zayas tente à son tour l’aventure de galeriste, au 500 de la Cinquième Avenue, mais sans succès…

Son histoire romanesque, c’est son fils, Rodrigo de Zayas (né en 1935, à Madrid), qui nous la raconte aujourd’hui. Dans un superbe ouvrage relié, au format imposant (24 x 30,5 cm) et recouvert d’une couverture noire entoilée, ce dernier défend avec force arguments le rôle de son père dans la transmission de la modernité d’un continent à l’autre, avec la volonté de lui rendre sa juste place. Son texte est suivi par un grand nombre de caricatures, d’esquisses et de peintures de Marius de Zayas, qui disent combien celui-ci ne fut pas qu’un passeur d’art, mais un artiste talentueux sensible à la modernité, comme dans ses étonnantes « caricatures absolues », c’est-à-dire abstraites, de Picabia, Apollinaire ou de l’ancien président Roosevelt.

Ce livre est rejoint dans un coffret par un second ouvrage, à la couverture orangée. Celui-ci n’est pas signé du fils, mais du père cette fois. Il s’agit d’un texte, ou plutôt d’une lettre, que Marius de Zayas a écrite entre 1940 et 1947 à l’attention d’Alfred Barr, le directeur du MoMA, qui lui avait demandé en 1936 de témoigner pour l’histoire. Compilation de documents et de souvenirs, Quand, comment et pourquoi l’art moderne est allé de Paris à New York a été publié une première fois en anglais en 1998 ; il l’est aujourd’hui en français, accompagné de nombreuses reproductions des artistes qu’il a fréquentés. « Je ne suis pas écrivain, moins encore historien, mais j’ai vu comment tout cela est arrivé », écrit Zayas à Barr. À nous de le lire aujourd’hui.

Marius de Zayas et Rodrigo de Zayas,
Éditions Atelier Baie, 2 livres sous coffret, 480 et 272 p., 97 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Marius de Zayas, le passeur

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