Historien de la littérature et spécialiste de la rhétorique au XVIIe siècle, Marc Fumaroli s’est toujours intéressé à l’histoire de l’art : depuis une dizaine d’années, il a consacré une série d’essais à l’étude des relations, dans la France et l’Italie du XVIIe siècle, entre les textes, la conception des images et leur réception par les contemporains.
En les réunissant dans un volume dédié à la mémoire d’André Chastel, son prédécesseur au Collège de France, si sensible au "dialogue entre le texte et l’image", il renforce la cohérence de sa démonstration.
Sous un titre éloquent qui évoque Claudel, il consacre la majeure partie du livre à l’Italie, entre Rome vouée à l’antique et Bologne, la spirituelle. L’étude des frontispices des traités d’éloquence et des gravures qui ornent le grand panégyrique jésuite Imago Primi Saeculi Societatis Jesu (Anvers, 1640) démontre ensuite combien, tel l’emblème dont le dessin ne se comprend que par le texte, la peinture et l’estampe sont liées aux livres ou aux discours. Malgré le caractère disparate des articles, la dernière partie dessine nettement l’ascension de l’image dans la représentation de la monarchie française. L’École du silence est un livre séduisant, passionnant, agaçant.
Au fil des chapitres, l’apparition fréquente de plusieurs personnages et de quelques lieux, allégoriques ou réels, renforce l’unité du livre. Le poète napolitain Giambattista Marino en est la clé de voûte : un rapprochement convaincant, mais qui aurait pu être mené plus loin, entre la Galerie du palais Farnèse et la Galeria de Marino (1620) – recueil de poèmes en forme de madrigal commentant avec esprit des œuvres d’art – lui suggère que les fables de Carrache devaient inciter le promeneur à s’adonner à ce genre poétique ; avec son magistral décor en trompe-l’œil, apologie sur la nature et les autres arts, Annibal répond à la question favorite sur la prééminence de l’art ou de la nature.
Dans le catalogue de l’exposition du Louvre sur l’Inspiration du poète intégré à cet ouvrage, Fumaroli analyse les conséquences de la querelle romaine entre marinistes et partisans de la poésie chrétienne d’Urbain VIII sur l’œuvre de Poussin qui doit à Marino de l’avoir remarqué à Paris et fait venir à Rome. Des Dicerie Sacre (1614), "version profane des prêches", il retient l’idée d’un Dieu Peintre, modèle que l’artiste cherche à imiter jusque dans la peinture profane. S’il met surtout l’accent sur un Poussin poète – notamment dans Des leurres qui persuadent les yeux, brillant essai sur la peinture française au début du XVIIe siècle – il enrichit l’étude de son traitement des passions d’une très fine analyse du geste des orateurs.
Guido Reni est la troisième figure : la subtile christianisation de la métamorphose d’Atalante et Hippomène s’explique par le portrait qu’à la suite de Malvasia, il dessine du bel artiste déchiré entre sa profonde spiritualité franciscaine et son goût du jeu. La rencontre de Jésus et du Baptiste des Girolamini de Naples, fruit d’une longue dévotion populaire nourrie de la méditation des sermons et prétexte à une digression sur l’iconographie du Baptiste, correspond certes à la spiritualité oratorienne.
Sans connaître les circonstances exactes de la commande, l’historien de l’art ne se risquerait pas à de si audacieuses interprétations ! Ainsi le rapprochement entre le tableau napolitain que Velázquez a certes pu voir et La reddition de Breda, avec une nouvelle analyse "catholique" du tableau espagnol, où les lances des tercios (et non terceros...) ne forment vraiment pas de croix, semble hasardeux : ce geste théâtral, chevaleresque et si proche de l’abrazo espagnol, reprend la scène du Sitio de Breda du dramaturge Calderón de la Barca (1625).
Les erreurs historiques et les jugements trop rapides agacent d’autant plus qu’ils sont extérieurs au propos. Certes, le tome III des Annales de Baronius est dédié à Philippe II, mais il fut publié en 1592 et non en 1599, date à laquelle le roi est mort et Baronius fâché avec l’Espagne (p. 288). Les Annales méritent d’ailleurs un jugement plus nuancé que cette qualification de "compilation éloquente". Souvent cité à la barre de la fermeté, Charles Borromée eut un regard sur la création artistique plus riche qu’il n’y paraît dans ce livre ; en tout cas, son successeur ne fut pas son cousin Frédéric mais Gaspare Visconti ! Ces réserves émises, ce recueil nous offre une superbe méditation sur le XVIIe siècle.
Marc Fumaroli, L’École du silence, le sentiment des images au XVIIe siècle, Idées et Recherches, Flammarion, 510 p. 295 F.
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Marc Fumaroli : la rhétorique du silence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Marc Fumaroli : la rhétorique du silence