Marc du Plantier - La fin du purgatoire

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 17 février 2011 - 1008 mots

Une importante monographie sort enfin sur le décorateur apprécié des collectionneurs mais encore inconnu du grand public, et l’un des derniers du siècle passé qui n’avait pas de publication à sa mesure.

Décorateur authentique de la haute société bourgeoise et élégante internationale, Marc du Plantier (1901-1975) n’a jamais noué avec le succès commercial. Cela ne l’a pas empêché de marquer son siècle en développant un vocabulaire architectural personnel reconnaissable à la rigueur des lignes, au travail sur la couleur et sur le miroir, situé à mi-chemin entre le confort moderniste et la relecture des formes néoclassiques. Une importante monographie, la première, signée par le passionné Yves Badetz sort aujourd’hui aux Éditions Norma qui réhabilite ainsi les réalisations souvent uniques du décorateur, tout en insistant sur la dimension romanesque du personnage qui se disait aussi peintre et sculpteur. 

L’œil : Comment expliquez-vous l’échec commercial de Marc du Plantier ainsi que le manque de reconnaissance dont son travail souffre aujourd’hui auprès du grand public ?
Yves Badetz : Il y a trois raisons à cela. La première, c’est que Marc du Plantier est un personnage pourvu d’un cadre de vie personnel très imposant. C’est un décorateur, je pense, dont on a cru qu’il n’avait pas besoin de travailler. Ensuite, lorsqu’il rentre d’Espagne en 1949, il a quitté la scène française depuis neuf ans. Il revient donc après la guerre, à un moment où la France a perdu la mémoire, et où l’Espagne est elle-même prisonnière d’une chape de plomb. À mon sens, du Plantier n’a pas bénéficié de tout ce qu’il a réalisé en Espagne, en particulier pour la comtesse d’Elda. Et lorsqu’il obtiendra la commande de l’ambassade de France à Ottawa ou de l’appartement du ministre des P.T.T., il le devra à son ami Michel Maurice-Bokanowski [ministre des P.T.T. de 1960 à 1962], qui le fera notamment décorer de la Légion d’honneur.
Enfin, quand il part pour les Amériques avec Florence de Montferrier, une marquise immensément fortunée qui vit dans des maisons de rêve entre Acapulco, Mexico et Los Angeles, du Plantier évolue dans un monde de milliardaires qui doit le voir comme un amusement pour la marquise. Sans compter qu’aux États-Unis, si tout le monde trouve ses décorations formidables, elles sont presque trop raffinées. Il le dit lui-même dans sa correspondance : les maisons sont d’une architecture extraordinaire, mais avec une décoration intérieure en dessous de tout ! Mais il faut aussi se souvenir que le protectionnisme américain est, à cette époque, très fort et que les artistes français ont beaucoup de mal à percer… 

L’œil : Son mobilier est-il apprécié des collectionneurs actuels ?
Y. B. : Oui, il a une cote. Des pièces passent régulièrement en ventes, de manière isolée. Si l’on met toute sa production bout à bout – le mobilier, la peinture, la sculpture –, elle est énorme. Rien que la monographie compte à peu près six cents illustrations, et tout n’est pas couvert…

L’œil : Cette monographie est une première étude approfondie sur Marc du Plantier. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour la voir enfin paraître, alors que d’autres décorateurs, comme Frank, que du Plantier a beaucoup regardé, ou Ruhlmann, ont déjà leur livre de référence ?
Y. B. : Il y a eu une petite étude publiée par Amélie Marcilhac dans le cadre d’une exposition en 2005, et il existe de nombreux articles parus dans les magazines de décoration. Mais il est vrai qu’il s’agit du premier livre important sur du Plantier.
Il faut dire que nous ne savions pas où étaient conservées ses archives. Il n’a pas eu de descendant et la famille d’Anne du Plantier, sa femme, n’a pas hérité de son fonds. Par hasard, j’avais acheté une partie de sa correspondance américaine, et je l’avais gardée dans l’espoir de faire un jour ce livre. Quelque dix ans après, je suis rentré en contact avec Jérôme-François Zieseniss [détenteur des archives et du droit moral]. 

L’œil : Quelle est la place de Du Plantier dans les collections nationales ?
Y. B. : Il a reçu trois commandes publiques : l’ambassade de France à Ottawa, commande du ministère des Affaires étrangères, le ministère des P.T.T. ainsi qu’un achat – timide – du Mobilier national, dont des structures de sièges pour des tapisseries tissées par la manufacture de Beauvais d’après des cartons de Longobardi.
Mais dans les musées français, hélas, il n’y a pas de mobilier. Il n’y en a pas, par exemple, aux Arts décoratifs alors qu’il devrait y en avoir. J’invite régulièrement Béatrice Salmon [la directrice du musée] à demander un dépôt de l’une des chauffeuses réalisées pour le ministère des P.T.T., et qui est au Mobilier national.

L’œil : Ses intérieurs et son mobilier marient la rigueur moderniste et le confort des intérieurs bourgeois…
Y. B. : Absolument, avec un mobilier réalisé très souvent en fer doré, avec beaucoup de marbre et très peu d’ébénisterie. Ses intérieurs sont peu chargés en mobilier, avec peu de meubles de rangement mais, en revanche, beaucoup de sièges, un mobilier social. Ce sont des intérieurs faits pour une vie élégante et sociale. Et cela lui ressemble.
Marc du Plantier avait un côté « affaires étrangères », diplomate tiré à quatre épingles. Et, à côté de cela, il était un grand amateur de jazz qui collectionnait les disques de Duke Ellington… Il écrivait un peu de poésie, fréquentait le cercle de Max Jacob. Il avait aussi une part de mysticisme qui a imprégné ses intérieurs et sa peinture. Du Plantier n’est pas seulement un décorateur, c’est un personnage romanesque.

Du Plantier au complet

Cette importante monographie risque fort d’empêcher, et pour longtemps, toute nouvelle publication sur la vie et l’œuvre du décorateur français tant elle s’impose par sa rigueur scientifique et son grand nombre d’illustrations (près de 600), qui vont des carnets d’esquisses de Du Plantier aux photographies d’époque de ses intérieurs. Un chapitre sur ses peintures et ses sculptures insiste sur l’étendue de ses intérêts artistiques, dimension que l’on refuse généralement aux décorateurs.

Yves Badetz, Marc du Plantier, Éditions Norma, 416 p., environ 600 ill., 85 euros.

Repères

1901 Naissance à Madagascar.

1926-1928 Réalise des modèles de robes pour Jacques Doucet.

1934-1936 Appartements de Jean Bignon.

1939 Sur recommandation de Jacques Heim, du Plantier part en Espagne où il aménage la demeure du comte et de la comtesse d’Elda.

1949 Retour à Paris, après avoir décoré les plus riches maisons madrilènes.

1957 Ambassade de France à Ottawa.

1959-1960 Appartement de fonction du ministre des P.T.T.

1961 Part à Mexico puis à Los Angeles avec la marquise de Montferrier qui finance la société Artedécor, un échec commercial.

1969 Réalise les tirages en bronze de sculptures de Zadkine, dont il possède les plâtres et les droits depuis 1936.

1975 Décès de Marc du Plantier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°633 du 1 mars 2011, avec le titre suivant : Marc du Plantier - La fin du purgatoire

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