À l’heure où l’on retrace au Grand Palais les origines de l’Impressionnisme, l’ouvrage d’Eric Shanes redresse une tradition répandue, presque devenue un poncif : l’influence alors exercée par l’exemple de Constable et surtout de Turner.
Pourtant, avant de venir à Londres en quête de modèles, les impressionnistes y ont d’abord cherché un refuge, un travail, des clients ou des marchands (ce qu’ils y ont d’ailleurs trouvé en la personne de Durand-Ruel). Et les tableaux vus dans les musées furent probablement moins importants pour eux que les motifs offerts par une gigantesque métropole moderne, en particulier son fleuve, son port, ses parcs, et, par-dessus tout, son célèbre brouillard, qu’on pourrait croire prédestiné à être peint par Monet. L’auteur se concentre donc sur Londres, "ville française impressionniste, et non simple satellite de Paris", au travers des différents séjours des artistes du groupe, de leurs amis et de leurs relations plus ou moins proches.
Pissarro et Monet, qui ont habité la capitale britannique à plusieurs reprises, après l’avoir découverte en s’y étant réfugiés lors de la guerre de 1870, se taillent la part du lion dans l’ouvrage, mais d’autres chapitres importants sont consacrés à Sisley et à Van Gogh – qui travailla en Angleterre dans la succursale du marchand de tableaux Goupil. L’intérêt du livre réside d’abord dans cette série d’études courtes, traitées par ordre chronologique, où le rappel des faits et des documents s’accompagne d’une approche minutieuse des œuvres, presque toutes reproduites en couleurs. Notons d’ailleurs l’élégance de l’auteur, qui sait, sans aucun pédantisme, enrichir le regard par de judicieuses comparaisons prises tant chez les impressionnistes eux-mêmes que chez leurs contemporains anglais. L’effet bien connu produit sur Van Gogh par les illustrateurs du Graphic est ainsi souligné, tout comme celui que provoque sur Pissarro le célèbre tableau de Turner, Pluie, vapeur, et vitesse.
Le marché de l’art anglais
Mais on saura aussi gré à Eric Shanes de ne pas tomber dans un déterminisme facile, et de démontrer, par exemple, tout l’intérêt d’une analyse de la situation du marché de l’art anglais et de la prééminence de la peinture "littéraire", pour mieux comprendre le but poursuivi par Monet dans sa Méditation, Madame Monet au canapé de 1870. Londres impressionniste débouche ainsi sur des questions plus complexes, l’accueil fait à l’Impressionnisme en Grande-Bretagne (avec l’exemple représentatif de L’Absinthe de Degas), ou sa part dans le développement du mouvement moderniste de la peinture anglaise, à l’extrême fin du XIXe et au tout début du XXe siècle, avec des artistes comme Sickert, Ginner, Steer ou Gore.
Les pages consacrées à Tissot, de Nittis ou Bastien-Lepage, qu’on ne s’attendrait pas a priori à trouver dans un tel ouvrage, ou encore celles sur Whistler, ne manquent pas non plus d’intérêt par les rapprochements qu’elles suggèrent. Certes, tout ce que rapporte l’auteur était en fait plus ou moins bien connu, et l’on peut regretter que certains points ne soient pas plus développés, comme les relations de Pissarro avec l’Angleterre (mais on déborde là du cadre strictement londonien). Cependant, l’intelligence et la subtilité de la synthèse d’E. Shanes, sa réserve aussi, voire parfois son humour, emportent finalement l’adhésion à une introduction utile qui, au bout du compte, fait figure de véritable mise au point.
Eric Shanes, Londres impressionniste, New York, Paris, Londres, Éditions Abbeville/Abbeville Press, 184 pages, 143 illustrations, 275 F (220 F jusqu’au 30 juin).
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Londres, ville française impressionniste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Londres, ville française impressionniste