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L'Œil par ceux qui l'ont écrit

Par L'Œil · L'ŒIL

Le 1 octobre 1998 - 3750 mots

Lancé en janvier 1955, L'Œil a publié de nombreux articles de fond qui ont fait date soit par la nouveauté de leurs sujets, soit par leurs approches originales et leurs qualités littéraires. De l‘inoubliable « entretien au magnétophone avec Daniel-Henry Kahnweiler par Georges Bernier », paru dans le premier numéro, au premier compte-rendu par Françoise Choay de l'exposition Pollock au MoMA, L'Œil s'est toujours impliqué dans l'art de son temps tout en révélant au public les principaux mouvements artistiques du passé. De prestigieuses signatures d'historiens de l'art tels que Francis Haskell, Rudolf Wittkower ou André Chastel côtoyaient les noms des collaborateurs réguliers comme Marie-Geneviève de La Coste-Messelière, Monelle Hayot ou François Loyer. Coup de chapeau aux cinq cents premiers numéros de L'Œil et à tous ceux qui les ont faits.

Picasso et les cubistes
par Daniel-Henry Kahnweiler
On parlait de Picasso dans le milieu des jeunes peintres. Je peux même dire dans quelles conditions exactes j‘entendis parler des Demoiselles d‘Avignon. Peu après l‘ouverture de ma galerie, j‘avais fait la connaissance de Wilhem Uhde qui connaissait déjà Picasso. Il me dit que celui-ci venait de peindre un tableau tout à fait étrange, « quelque chose d‘assyrien ».  Je pensai : « II faut que je voie ce tableau-là » et je montai à Montmartre rue Ravignan. Picasso, qui sortait du lit, vint m‘ouvrir en chemise et les pieds nus. Lui me connaissait, il était déjà venu rue Vignon...
L‘Œil n°1, janvier 1955, Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), marchand, éditeur et historien des peintres cubistes.

Alberto Giacometti
par James Lord
Depuis vingt-huit ans, Giacometti occupe à Paris le même atelier. En soi c‘est là l‘affirmation d‘un parti pris ; et la rigoureuse simplicité de tout ce qui entoure Giacometti complète la qualité de ce parti pris. Il fuit la possession. Le confort d‘un intérieur bourgeois moyen le met tout de suite mal à l‘aise. Il s‘identifie si complètement avec son œuvre que ses besoins matériels ne dépassent guère ses moyens d‘artiste : la terre glaise, le plâtre, les matières colorantes, le papier, la toile, le bois, et les métaux nécessaires à l‘expression de sa sensibilité. La puissance physique de Giacometti est immédiatement perceptible sous des vêtements qui, très évidemment, n‘ont d‘autre sens pour lui que de le couvrir. Sa tête est grosse, posée directement sur des épaules fortes. Les mains sont longues, vigoureuses, faites pour la sculpture, jamais complètement débarrassées des salissures de son travail...
L‘Œil n°1, janvier 1955, James Lord, historien de l‘art, a publié Un portrait par Giacometti (Gallimard).

La Grande Parade de Léger
par Douglas Cooper
Une grande expérience a appris à Léger comment intégrer exactement la représentation imagée au moule, en apparence arbitraire, de la couleur. Si bien qu‘il est maintenant capable de modeler des figures comme dans La Grande Parade, et même d‘introduire des éléments colorés purement descriptifs comme, par exemple, les bas bleus de l‘acrobate ou le nez orange du clown. Cela signifie que le résultat final est une peinture de chevalet et non une peinture murale au sens où Léger l‘entend...
L‘Œil n°1, janvier 1955, Douglas Cooper (1911-1984), historien de l‘art, collectionneur, a publié le catalogue des collections du Courtauld Institute de Londres et Picasso et le théâtre (Cercle d‘Art).

Au 48, Paseo de Gracia
par Rosamond Bernier
Picasso m‘avait dit que je pourrais photographier la collection des tableaux de lui que possède sa sœur Lola, la señora de Vitalo à Barcelone. C‘était ma première visite à la famille, mais je n‘en étais pas à mon premier étonnement : quand j‘avais téléphoné pour prendre rendez-vous, une voix amicale m‘avait priée avec insistance de venir le jour ou plutôt la nuit même... La sœur de Picasso était dans un fauteuil, son corps arrondi émergeant d‘un épais cocon de couvertures. Une des deux ampoules de l‘appareillage de la petite pièce était brûlée. J‘aperçus un visage rond et âgé, qu‘illuminaient deux yeux sombres remarquables, les yeux de Picasso...
L‘Œil n°2, février 1955, Rosamond Bernier, co-fondatrice de L‘Œil.

Germaine Richier
par Jean Grenier
Née dans le pays d‘Arles, Germaine Richier avec son nez busqué, son menton ferme et ses yeux noirs fait penser à ces masques de bronze que l‘on voit à la Maison Carrée de Nîmes tels qu‘ils ont été trouvés dans le Vistre, et que Rome a multipliés comme autant de monnaies frappées sur la pâte humaine à l‘image de sa domination sur l‘Univers. Mais ces masques, qui portaient sans doute des yeux d‘émail, ne font pas prévoir le feu qui sort des yeux de Germaine Richier, le mouvement qui anime sans arrêt son visage et qui évoquerait plutôt les physionomies, bien vivantes cette fois, qui peuplent encore le quartier le plus ancien de Rome, le Trastevere.
L‘Œil n°9, septembre 1955, Jean Grenier (1898-1971), écrivain et critique d‘art, a publié Essais sur la peinture contemporaine (Gallimard).

Le paysage fantastique au Moyen Âge
par Jurgis Baltrusaïtis

Les êtres minéraux se multiplient avec les rocs spongieux des peintres timurides, qui naissent d‘une transcription des ombres et des valeurs par des hachures. Interprétées de cette façon, la brume et la fluidité se cristallisent en quelque sorte en boursouflures poreuses, et les falaises deviennent pareilles à des polypes où se précisent souvent aussi des créatures vivantes. Des têtes entières de personnages et d‘animaux sont découpées dans leurs amoncellements et leurs fioritures.
L‘Œil n°10, octobre 1955, Jurgis Baltrusaïtis (1903-1988), historien de l‘art, a publié Aberrations, Anamorphoses et La Quête d‘Isis (Flammarion).

Souvenirs rhénans
par Max Ernst
À en croire mon état civil, mes origines sont modestes. Mes yeux se sont ouverts vers la fin du siècle dernier, à Brühl, petite ville de la province rhénane à mi-chemin entre Cologne et Bonn. J‘y ai passé une enfance banale et presque heureuse. Quelques secousses violentes se sont pourtant produites. Des traces durables qu‘elles ont laissées, on peut trouver les reflets dans mon œuvre. Je m‘y suis abandonné aux douteux plaisirs et tourments, aux ruses, rages et passions de l‘adolescence. De constitution robuste, j‘y ai subi, sans grands dommages, les tortures de l‘enseignement et les atroces absurdités de l‘éducation wilhelminienne, jusqu‘à ce que bachot s‘ensuive.
L‘Œil n°16, avril 1956, Max Ernst (1891-1976), peintre et sculpteur.

La révolution Dada
par Michel Seuphor
Si se moquer de la philosophie est vraiment philosopher, Dada a vraiment fait de l‘art en se moquant de l‘art. Une chose est de se moquer, une autre est de ne pas croire. La moquerie de Dada ne ressemble pas du tout à celle du Philistin. Ce dernier n‘atteint jamais au niveau de ce qu‘il dénigre avec des arguments faciles, Dada tend au dépassement. Il ne s‘agit pas d‘un amour déçu mais d‘une angoisse qui rit ou qui ricane, qui persifle ou qui grince, qui hurle ou qui bégaie, qui en tout cas préfère le bruit au silence des profondeurs. Il entend répondre effrontément à l‘absence de réponse, parce que la vie vaut plus que la mort, et la vie se prouve par la vie.
L‘Œil n°24, décembre 1956, Michel Seuphor, historien de l‘art, a publié Art abstrait (éd. Maeght).

Brancusi
par Henri-Pierre Roché
Brancusi est mort dans l‘oasis de l‘impasse Ronsin, déplumée de ses ateliers, sauf quelques-uns autour du sien, protégés par le sien, qui restent là comme une touffe oubliée. Dans cette cité d‘artistes, basse sur pattes, jadis drue, devenue par lui fameuse, il a vécu près d‘un demi-siècle comme un paysan dans sa ferme, vêtu le plus souvent d‘une combinaison blanche d‘aviateur, allant lui-même faire son marché, riant avec les marchandes, petit, ascète et bon vivant, grimpant doucement de la pauvreté à l‘aisance tardive. « Des millions, disait-il à la fin, une fois qu‘on en a, c‘est des cacahuètes ! »
L‘Œil n°29, mai 1957, Henri-Pierre Roché (1879-1959), romancier, a publié Deux Anglaises et le continent et Les Carnets de Jules et Jim (Gallimard).

La peinture du Grand Siècle
par Michel Laclotte
Annonçant et préparant une reprise de conscience définitive par le public des richesses de ce siècle, l‘étude systématique du XVIIe siècle français est donc actuellement l‘un des chantiers les plus actifs de l‘histoire de l‘art : il importe de reconstruire pierre à pierre le monument que le temps et l‘indifférence ont laissé s‘écrouler...
L‘Œil n°36, décembre 1957, Michel Laclotte, ancien directeur du Louvre, président de la Mission pour l‘Institut national d‘histoire de l‘art, a publié L‘École d‘Avignon (Flammarion).

La XXIXe Biennale de Venise
par Françoise Choay
Qu‘importe l‘absurdité des récompenses officielles puisque nous avons eu la chance de contempler trois œuvres exemplaires : celles du sculpteur Pevsner, du graveur Hayter et du peintre Tobey ; puisque nous avons pu établir notre palmarès personnel. Qu‘importe la confusion générale des valeurs si nous voyons s‘affirmer quelques promesses et se révéler un peu la signification de l‘art actuel...
L‘Œil n°45, septembre 1958, Françoise Choay, spécialiste de l‘architecture, a publié L‘Allégorie du patrimoine et Histoire de la France urbaine (Seuil).

Hans Baldung Grien
par François-Georges Pariset
Que la volupté pour s‘accomplir s‘enfièvre de cruauté et réclame la mort, Baldung nous en donne un exemple, d‘une violence presque insoutenable, dans un panneau du musée de Bâle. Un mort, un « transi » assaille une femme, plante ses doigts acérés près d‘un sein et tient ferme la nuque de sa victime pour mieux l‘embrasser ou plutôt pour la mordre. En vain, la femme se rejette en arrière et lève un bras pour repousser l‘attaque. Elle pleure, elle subit la caresse immonde avec horreur, mais aussi avec délice ; on ne sait pas si elle retient l‘étoffe qui la protège ou si elle l‘arrache pour se livrer entièrement, et cette étoffe est le linceul qui l‘entourait lorsqu‘elle avait été déposée sur la dalle funèbre, car elle était morte et elle n‘a repris vie que pour subir la fatale étreinte...
L‘Œil n°57, septembre 1959, François-Georges Pariset, a publié Le Néoclassicisme (PUF) et Inventaire des collections publiques françaises.

Le dilemme du critique
par Herbert Read
Le monde de l‘art est un monde sans justice. Il suffit de penser au contraste entre la vie misérable de quelques-uns des fondateurs de la peinture moderne – Gauguin et Van Gogh en particulier – et la valeur attribuée aujourd‘hui à leurs œuvres, pour mesurer l‘injustice d‘une situation qui s‘est imposée depuis que l‘art dépend d‘une forme particulière de relation entre l‘artiste et celui qui achète ses œuvres. L‘acheteur ne connaît d‘autre loi que sa vanité et ses désirs, et l‘artiste dépend donc complètement de ses lubies. Entre l‘artiste dépendant et l‘acheteur indépendant interviennent ces lois arbitraires de l‘offre et de la demande qui caractérisent notre système capitaliste, lois qui ne sont pas des lois au sens moral ou juridique du terme, mais des forces aveugles gouvernées par l‘espoir ou la crainte. Les lois économiques qui président à la distribution et à la vente des œuvres d‘art ne diffèrent des lois présidant à la vente du jambon que par la rareté relative de la production artistique et par la facilité relative de contrôle du marché...
L‘Œil n°72, décembre 1960, Herbert Read (1893-1968), historien de l‘art, a publié Naum Gabo et Paul Klee (Harvard University Press).

Lubin Baugin
par Jacques Thuillier
Voici le peintre le plus charmant du XVIIe siècle français. Non pas le plus brillant (qui l‘emporterait sur Simon Vouet ?), ni le plus élégant (Le Sueur reste le premier), le plus profond, le plus savant, moins encore : il lui arrive même de dessiner un pied trop menu, un profil trop sec, sans que l‘on puisse toujours décider entre intention ou négligence. Pour goûter Lubin Baugin, il faut oublier un temps la méditation d‘un Poussin, les éclats lyriques d‘un Vouet, l‘humanité profonde de Valentin ou des frères Le Nain, les vastes réalisations de Le Brun.
L‘Œil n°102, juin 1963, Jacques Thuillier, professeur au Collège de France, spécialiste du XVIIe siècle, a publié Poussin et Georges de La Tour (Flammarion).

L‘École de Fontainebleau
par André Pieyre de Mandiargues
Des mots parfois triomphent tandis que d‘autres inexplicablement sont abolis. Le nom d‘École de Fontainebleau a gagné la partie engagée avec le temps qui use et qui efface ; il s‘est inscrit dans notre mémoire profonde. Son évocation fait paraître à notre fantaisie des nudités à peine détachées de la riche architecture qui leur sert de fond, des femmes qui ressemblent à des statues, des statues dont le marbre est prêt à s‘animer, des hommes qui sont des héros, des amants, des mourants ou des bourreaux, un peuple d‘animaux, parmi lequel le cerf et le cheval reviennent avec un peu plus d‘insistance que le chien, la chouette, la salamandre ou le serpent.
L‘Œil n°108, décembre 1963, André Pieyre de Mandiargues (1909-1991), poète, a publié La Motocyclette (Gallimard).

L‘invention de la caricature
par Jean-François Revel
La caricature est une sténographie. Elle est une sténographie expressive, et d‘autant plus expressive qu‘elle est plus sténographique. Ou encore, elle est une exagération au moyen de l‘abréviation.
L‘Œil n°109, janvier 1964, Jean-François Revel de l‘Académie française, écrivain, a publié L‘Œil de la connaissance (Plon).

Marcel Duchamp hier et demain
par Robert Lebel
L‘iconoclasme s‘est réintroduit dans l‘art avec le cubisme, on le sait, et depuis lors il a été le principal aiguillon des avant-gardes successives. Spécifions toutefois que pour chaque avant-garde, à commencer par le cubisme, et pour chaque artiste d‘avant-garde, à commencer par Picasso, l‘iconoclasme fut un stimulant décisif mais passager. Aussitôt le but atteint, qui était de discréditer les images précédentes, chacun se mettait en devoir d‘en reconstituer d‘autres.
L‘Œil n°112, avril 1964, Robert Lebel (1901-1986), écrivain et expert en art ancien, a publié  Sur Marcel Duchamp (éd. Trianon).

L‘écart absolu générique
par André Breton
À tout seigneur... Même si ses propriétés laissent apercevoir leurs limites, ailleurs jamais pressoirs n‘ont connu un tel train, un tel entrain. Comme s‘il s‘agissait d‘exprimer une bonne fois pour toute le raisin de la vue (à d‘autres, il est vrai, la vision). Connu comme le loup blanc, celui qui est devant nous, demi-nu comme il aime, a précisément pour œil ce grain de Malaga enchanté.
L‘Œil n°131, novembre 1965, André Breton (1896-1966), poète, a publié Le surréalisme et la peinture (Gallimard).

Rodin
par Henry Moore
Je crois que dès le début j‘ai beaucoup admiré Rodin. Pendant très peu de temps, à l‘Art School de Leeds, j‘ai même été un peu influencé par lui. Je me rappelle avoir fait la figure d‘un vieillard debout, parce que j‘avais été très impressionné par la figure d‘une vieille femme. Voyez-vous celle dont je parle ?
L‘Œil n°155, novembre 1967, Henry Moore (1898-1986), sculpteur.

Monsù Desirio
par Jean-Claude Lebensztejn
Mais si nous voulons chercher à éclaircir ce petit mystère à la lumière de ce que nous savons du peintre, notre déception sera absolue, car la personnalité de Monsù Desirio, le sens de sa peinture, ont été soustraits à notre regard par des ténèbres épaisses jusqu‘à prendre l‘opacité de l‘énigme. L‘origine de ces inventions n‘est pas claire ; leur signification nous échappe totalement. Que veulent dire ces architectures entièrement imaginaires où le délire le plus consommé conjoint les styles les plus divers, réduits ainsi à n‘être plus que leur propre simulacre ? Pourquoi ces créations sont-elles presque toujours, dès leur projet, à l‘état d‘anéantissement ? Les catastrophes qui s‘abattent sur elles sont-elles porteuses de signification, ou figurent-elles simplement des caprices se référant à la scénographie du temps...?
L‘Œil n°156, décembre 1967, Jean-Claude Lebensztejn, historien de l‘art, a publié Chahut  (Hazan) et L‘Art de la tache (éd. Jacqueline Chambon).

Picasso dessinateur
par Roland Penrose
Dessiner, pour Picasso, c‘est vivre d‘une vie très spéciale, qui souvent se suffit à elle-même ; ce n‘est pas, comme pour d‘autres artistes, un exercice préparatoire en vue d‘une œuvre ultérieure, réalisée dans une autre technique. Quand il dessine, Picasso est entouré d‘une multitude de personnages qui ont été ses familiers pendant des années. Ils se présentent à lui, réclament son attention, puis se mettent à jouer une charade, pour son bon plaisir, et, du même coup, pour le nôtre.
L‘Œil n°157, janvier 1968, Roland Penrose (1900-1984), artiste et écrivain, a publié Picasso (Flammarion) et 80 ans de surréalisme (Cercle d‘art).

Aimez-vous Dokumenta ?
par John Russell
Laquelle de nos capitales européennes aurait, en tout cas, présenté une meilleure exposition de l‘art le plus récent ? Certainement pas Londres qui a jeté son dévolu sur Matisse et Van Gogh pour son nouveau musée ; ni Paris  qui nous a offert Vuillard et K. X. Roussel pour couronner la saison d‘été. Pour trouver quelque chose de comparable à l‘ambition, à l‘esprit d‘entreprise, à l‘efficacité dont témoigne Dokumenta, il faut revenir encore à l‘Allemagne d‘avant 1914. « L‘Esprit Nouveau » a changé de passeport.
L‘Œil n°164-165, août-septembre 1968, John Russell, critique d‘art, a publié Picasso, Delacroix et Henry Moore (Hazan).

L‘inventaire des monuments
par François Loyer
Enfant d‘un ministère mal aimé, dont l‘existence est plus que menacée, l‘Inventaire français, l‘une des plus grandes œuvres de la pensée scientifique dans notre pays, mérite l‘admiration mais, il faut le dire, cette admiration a toutes les chances d‘être sans objet si demain les moyens nécessaires à la réalisation pratique de l‘entreprise ne sont pas suffisamment libérés. Si la commission régionale de Bretagne, par exemple, avec ses sept agents assistés par quelques vacataires, devait comme il est à craindre en fonction de la cadence de travail que lui permettent actuellement ces moyens mettre un demi-siècle pour réaliser l‘inventaire scientifique de ses cent-soixante-quinze cantons bretons, il est évident que l‘entreprise perdrait beaucoup de son intérêt...
L‘Œil n°182, février 1970, François Loyer, historien de l‘art, spécialiste de l‘architecture, a publié Paris 1900 (Hazan) et Architecture française (Mengès).

Peintres symbolistes
par Philippe Jullian
Ce goût pour les artistes anglais, le culte de Wagner et de Baudelaire, ont bien plus lié toute une génération qui tournait le dos au matérialisme du XIXe siècle que les manifestes pourtant bien nombreux. En dépit des proclamations de Péladan, des articles d‘Albert Aurier, des déclarations des poètes Moréas et Verlaine dans les revues littéraires qui pullulaient alors, il n‘y a pas vraiment eu une école symboliste. Peintres, musiciens, et poètes inséparables (jamais il n‘y a eu une telle communion entre les trois, tant d‘échanges), esthètes et décadents ont aimé les roses mortes, les silhouettes qui s‘enfoncent dans la brume, les chevelures à travers lesquelles on devine un visage, les lys, les yeux clos, les doigts sur les lèvres, les persiennes fermées derrière lesquelles on entend un piano, un jet d‘eau dans un parc abandonné, le crépuscule, les pieds nus, les gants oubliés par une femme aimée, les masques...
L‘Œil n°209, mai 1972, Philippe Jullian, a publié Les Styles (Plon/Gallimard-Le Promeneur).

L‘art africain
par Jacques Kerchache
Faute d‘archives, il n‘existe pas d‘histoire de l‘art africain. Tout au plus sait-on d‘un objet quand il fut trouvé et éventuellement où. Par contre, il existe une histoire de la découverte de l‘art africain par l‘Occident. Si l‘on néglige quelques éléments isolés, elle commence véritablement avec ce siècle. Et l‘élément déterminant, la première étincelle, demeure l‘intérêt que lui porte un groupe d‘artistes dont la vision et la technique vont être stimulées par le choc qu‘ils en reçoivent. Pour eux, d‘emblée, l‘art africain appartient à l‘art tout court.
L‘Œil n°237, avril 1975, Jacques Kerchache, spécialiste de l‘art africain, conseiller scientifique pour la Mission de préfiguration du futur musée des Arts et Civilisations à Paris.

Hundertwasser
par Patrick Grainville
Hundertwasser est avant tout un lutteur, un provocateur allègre, un danseur d‘images, un Sioux des couleurs, un iconoclaste aux icônes de feuillage et de lumière. Ce clair tumulte n‘exclut pas la rigueur théorique. Nombreux sont les textes où il s‘explique sur les rapports de l‘homme et de son environnement. Il proclame l‘urgence de recréer le lien avec la nature. Il ira jusqu‘à s‘exhiber tout nu pour incarner cette évidence adamique et superbe. Ce qui me réjouit d‘emblée est son combat contre le rationalisme.
L‘Œil n°327, octobre 1982, Patrick Grainville, romancier, a publié Les Flamboyants (Seuil), prix Goncourt 1976.

Georges de La Tour
par Sylvie Germain
Voici Madeleine assise, non plus la tête haute, tournée vers le cœur battant de la nuit où luit une admirable promesse, mais effondrée, plus tassée sur elle-même. La pénitente-amante est en deuil, veuve de son amour, orpheline de son Maître. Elle ne pleure pas – le don des larmes en elle s‘est tari –, elle est échouée aux confins de la plus amère des douleurs...
L‘Œil n°489, octobre 1997, Sylvie Germain, romancière, a publié Le Livre des Nuits et La Pleurante des rues de Prague (Gallimard).

Hammershøi
par Éric Holder
Autour d‘un unique sofa Empire, d‘un pan de cloison où sont les cadres, on voit mal les tableaux, ils comptent, semble-t-il, pour rien, et le jeu des sept erreurs pourra consister année après année à voir où ils ont été déplacés – le peintre va déployer une infinité de variations selon l‘heure, et surtout selon la lumière... À chaque fois, à chaque toile, on a le sentiment que Hammershøi a été gagné par une joie sourde, le fait de s‘être dit : « Ça y est. » Peintre d‘intérieur ? C‘est plus compliqué que cela. Peintre de son intérieur dans toutes les acceptations du terme...
L‘Œil n°491, décembre 1997, Éric Holder, romancier, a publié Jours en douce (éd. Flohic).

La gare Saint-Lazare
par Jérôme Coignard
Filtrée à travers les verrières encrassées par la fumée des trains et la poussière, la lumière prend une tonalité froide bleuâtre et confère au ballet des locomotives une troublante irréalité. Négligeant l‘aspect fatal de la gare, perçu plus tard par Proust, Monet peint avec émerveillement cet énorme squelette de métal rongé de joyeuses volutes de fumée, les mouvements des locomotives se dissolvent dans l‘atmosphère chargée de vapeur. Cette vapeur, Turner l‘avait déjà apprivoisée en 1844 dans son légendaire Pluie, vapeur, vitesse, un paysage halluciné qui marque l‘entrée du train en peinture. Chez Monet, elle se transforme en un nuage poétique, chargé de rose et de bleu, qui stagne paresseusement sous le triangle rigide des fermes métalliques. Oubliées la vitesse, les prouesses techniques, la hideur héroïque des engins noirs qui progressent, inexorables, dans un tonnerre de bielles et de pistons.
L‘Œil n°493, février 1998, Jérôme Coignard, journaliste et historien de l‘art.

Delacroix
par Philippe Le Guillou
Je restais immobile, prostré, de nouveau saisi par cette funeste sensation d‘impuissance qui me paralysait. J‘étais Héliodore terrassé, propulsé dans une architecture qui tremble. Mes tempes battaient. Un faisceau de cavalcade sanglante giclait sous mes paupières. Le Temple de Jérusalem grondait, ses marches rouges vibraient, et je voyais ce cavalier d‘or, les jambes nues sur le gris de sa monture, jaillir du mur de Saint-Sulpice...
L‘Œil n°495, avril 1998, Philippe Le Guillou, romancier, a publié Les sept noms du peintre (Gallimard), prix Médicis 1997.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°500 du 1 octobre 1998, avec le titre suivant : L'Œil par ceux qui l'ont écrit

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