La place prise par la vidéo dans les langages contemporains mérite bien sa part de réflexion, tant historique qu’esthétique, tout en se gardant de confondre technique et médium.
Mais, c’est bien au gré d’incessants développements technologiques, des premiers systèmes vidéo de la fin des années 1960 aux caméras numériques (songeons que l’on fait mieux aujourd’hui à la dimension d’une boîte d’allumettes que ce que l’on obtenait de la grosse vingtaine de kilos d’un videocorder !), que s’est constitué un champ de problématiques fondamentales et complexes, qui tiennent à l’image en mouvement mais aussi aux dispositifs de présentation, ou encore de conservation et jusqu’à la définition même de l’œuvre. On doit à Françoise Parfait, universitaire et essayiste, un classique des Éditions du Regard, Vidéo : un art contemporain, épuisé dans son édition de 2001 et republié en 2007. On y trouve une histoire des œuvres, des artistes et des enjeux qui ont compté dans une « invention » de la vidéo comme langage artistique. En thématisant à partir de la diversité des expériences, en rendant compte de son extériorité initiale au langage de l’art, mais aussi des moments et des acteurs de diffusion comme médium artistique, en ne négligeant pas la part des artistes français dans cette histoire toute neuve (bien plus, par exemple, que le livre de Michael Rush publié chez Thames & Hudson depuis), Françoise Parfait a contribué à établir non seulement cette archéologie proche de la vidéo, mais aussi une trame de questions que poursuivent depuis d’autres publications. Ainsi, inscrivant l’historicité du médium lui-même comme question de conservation et de restauration, rappelons le numéro d’Art Press 2 publié début 2009, avec l’institution québécoise Docam (Documentation et conservation du patrimoine des arts médiatiques).
Ancrage dans l’histoire
Les interrogations portant sur les dispositifs impliqués par les pratiques des outils de la vidéo et des nouveaux média posent en terme de réception et de relation au spectateur le devenir de ces régimes d’images dans le champ de l’art. Aussi, un recueil comme Esthétique des arts médiatiques : prolifération des écrans, venu lui aussi du Canada, ouvre la question des supports en consignant nombre des propositions de dépassement de la frontalité de l’écran, par sa multiplication, par son échelle, voire par son effacement à la faveur d’autres supports. Pas moins d’une vingtaine de perspectives ouvertes ici, qui cernent la flexibilité de la place du spectateur selon des configurations de perception mises en place par les artistes et démultipliées par l’interactivité quand l’écran devient interface. Sans manquer de pointer l’« anxiété » qui résulte d’une telle prolifération, les auteurs parcourent les enjeux de ces nouveaux dispositifs de perception dans et hors le champ de l’art. Sous le titre Broken Screen, l’image-mouvement est prise sous l’aspect du récit et de son éclatement dans un livre singulier publié à New York en 2006. À l’initiative de l’artiste Doug Aitken (lire le JdA n° 310, 2 octobre 2009, p. 35), vingt-six dialogues avec des créateurs forment un manifeste pour une conception contemporaine du récit. Il ressort un intérêt partagé pour user des dispositifs techniques comme moyen de rendre compte de la pluralité des expériences du monde, au-delà de la discursivité langagière, d’une intersubjectivité contemporaine qui rend nécessaire de rompre avec les idiomes standardisés, comme le précise l’artiste basé à Vancouver Stan Douglas. C’est d’ailleurs le même Stan Douglas qui codirige un autre volume collectif, lui encore en langue anglaise. Avec Art of Projection, la réflexion sur l’image s’ancre dans l’histoire, mais surtout dans le croisement du cinématographique avec la spatialité et la temporalité contemporaines. Conçu en écho à l’exposition Beyond Cinema : the Art of Projection, à la Hamburger Bahnhof à Berlin en 2006, le volume est riche de références théoriques, mais aussi d’œuvres, et dessine les contours d’une épistémologie de l’image d’aujourd’hui, nourrie entre autre par le cinéma et la vidéo dans leurs usages savants mais aussi ordinaires. N’en déplaise aux grincheux anti-vidéo, c’est évidemment, et ces livres y contribuent, de ce côté des pratiques que l’art rejoint l’ambition de contribuer aujourd’hui à la connaissance.
FRANÇOISE PARFAIT, VIDÉO : UN ART CONTEMPORAIN, Éditions du Regard, Paris, coll. « Arts plastiques », 2007, 366 p., 200 ill., 22 euros, ISBN 978-2-8410-5204-2
MICHAEL RUSH, L’ART VIDÉO, éd. Thames & Hudson, Londres-Paris, 2007, 256 p, 475 ill., 39,95 euros, ISBN 978-2-87811-292-4
ART PRESS 2 N° 12, LES ENJEUX DE LA CONSERVATION DES ARTS TECHNOLOGIQUES, Art Press Édition, janvier 2009, 114 p., 9,50 euros
ESTHÉTIQUE DES ARTS MÉDIATIQUES : PROLIFÉRATION DES ÉCRANS, sous la direction de Louise Poissant et Pierre Tremblay, Presses de l’Université du Québec, Québec, coll. « Esthétique », 2008, 436 p., 36 euros, ISBN 978-2-7605-1541-3
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L’image-mouvement
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Abonnez-vous dès 1 €BROKEN SCREEN, 26 CONVERSATIONS WITH DOUG AITKEN, EXPANDING THE IMAGE, BREAKING THE NARRATIVE, Doug Aitken sous la direction de Noël Daniel, Distributed Art Publishers (DAP), New York, 2006, 302 p., nombreuses illustrations, 43,95 euros, ISBN 978-1-9330-4526-9
ART OF PROJECTION, sous la direction de Stan Douglas et Christopher Eamon, éd. Hatje Cantz Verlag, Ostfildern (Allemagne), 2009, 192 p., nombreuses illustrations, 27,60 euros, ISBN 978-3-7757-2307-1
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : L’image-mouvement