Michel Poivert place la question de la théâtralité de l’image, de sa construction, à l’origine du processus photographique.
Ce n’est pas le premier livre de Michel Poivert sur l’histoire de la photographie, mais ce dernier né est le plus personnel et certainement l’un des plus intéressants offerts sur la relecture d’une histoire qui n’a pas encore deux siècles. Impulsé il y a quelques années par l’éditeur Jean-François Barrielle sur le modèle de la Brève histoire du monde d’Ernst Gombrich, cet essai de synthèse construit en douze chapitres courts témoigne d’une liberté de choix dans ses sujets. On n’y trouvera ainsi aucune mention de la photographie de mode ou publicitaire. En revanche, s’y lit en pointillé l’itinéraire des questionnements et des réflexions que l’historien, professeur d’histoire de la photographie à l’université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) et à l’École du Louvre, remet en perspective à partir de ses lectures, rencontres, travaux d’inventaire (collections de l’École nationale supérieure des beaux-arts ou de la Société française de photographie), de ses cours ou de ses directions de thèse. Mais aussi en s’appuyant sur les différentes expositions qu’il a conçues, notamment « Nadar, la norme et le caprice », présentée par le Jeu de paume au château de Tours (2010), ou la rétrospective « Gilles Caron, le conflit intérieur » (Jeu de paume, 2014), élaborée à partir de l’étude inédite qu’il mena dans les archives du photoreporter. Ces expériences de commissariat donnent du corps, un ton particulier à cette histoire de la photographie. Dans une démonstration sans faille, chapitre après chapitre, la photographie y apparaît depuis son invention comme une image performée, construite, y compris dans le fameux « instant décisif », et non comme une empreinte du réel ni un art naturaliste telle qu’elle est communément abordée et comprise.
Détails négligés
La question de la théâtralité et de la construction de l’image est en effet au cœur de cet ouvrage qui convoque à ce propos Roland Barthes (lire p. 32) quand l’intellectuel, grand critique de théâtre, note dans La Chambre claire : « Ce n’est [pas] par la Peinture que la photographie touche à l’art, c’est par le Théâtre. » Dans cette histoire à rebours, la recontextualisation des travaux de Niépce, Daguerre, Bayard, Duchenne de Boulogne ou Nadar père et fils, pour n’en citer que quelques-uns, renvoie à la culture visuelle, aux références de ces figures. Et l’historien de relier ainsi l’autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard à l’amitié entretenue avec le comédien Edmond Geffroy, dont le rôle de Chatterton dans la pièce d’Alfred de Vigny n’est pas étranger à cette mise en scène. L’attachement à ce type de détail, souvent négligés ou méconnus, est révélateur d’une autre manière d’aborder et de lire l’histoire du médium.
Dans l’approche historiographique de Michel Poivert, la question de « la fluctuation des valeurs de la photographie », selon ses termes, est tout aussi centrale, en particulier dans son dernier chapitre consacré à la photographie contemporaine. Depuis les années 1980-1990, ses représentants tiennent expressément à être distingués et à se distinguer du milieu de la photographie, les institutions et les galeries participant à l’élaboration de nouveaux critères.
En conclusion, l’auteur esquisse une théorie de la photographie « comme celle du don plus que de la prise, mais un don qui laisse au spectateur le pouvoir de scruter, d’observer à loisir selon un principe d’extériorité proche de celui du voyeur ». On attend le prochain essai.
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L’histoire à rebours
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Abonnez-vous dès 1 €Michel Poivert, BrÈve histoire de la photographie, éd. Hazan, coll. « Beaux Arts », 200 p., 12 ill., 28 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : L’histoire à rebours