Publiée par Casterman, une bande dessinée ambitionne de raconter l’histoire de l’art aux enfants, de la préhistoire à la Renaissance. Intrépide mais nécessaire, l’entreprise s’avère décevante, sinon frustrante. Dommage.
S'adresser au plus grand nombre. » La phrase, comme une imploration, revient dans la bouche de tous : des marchands de communication, des services d’action culturelle, des responsables des publics, des nouveaux médiateurs ou de certains élus. L’art doit être visible, lisible, accessible. Tout le monde doit s’y retrouver et l’offre doit contenter la demande, prétendument pléthorique. À cet égard, de nombreuses initiatives éditoriales tentent de décloisonner les genres, de réinventer un secteur qui, parce qu’il serait trop vite intimidant, segmenterait les lecteurs entre « sachants » et « béotiens ».
Éditions de luxe, livres pop-up, histoire de l’art pour les nuls, monographies de vulgarisation, manuels généralistes, raretés bibliophiliques : tout est bon pour faire venir dans la grande église de l’art les athées et les incrédules, les jeunes catéchumènes comme les fidèles confirmés. La présente bande dessinée, parue aux prestigieuses éditions Casterman, s’adresse aux enfants de 8 à 11 ans qui, assurément, composent un contingent convoité car important, plein de possibles et de promesses.
Panorama
Reliée, la publication est signée Marion Augustin pour le texte et Bruno Heitz pour le dessin. Sa couverture bleue accueille un homme des cavernes et une Vénus botticellienne, deux dessins qui donnent le ton et permettent de borner chronologiquement ce tome, qui sera bientôt suivi d’un second. En retrait, le scribe égyptien et Les Époux Arnolfini de Van Eyck confirment que le panorama est vaste et le projet ambitieux. La bande dessinée met en scène un grand-père et ses deux petits-enfants – personnifications de l’Ancien et du Moderne – parcourant Paris et, avec, la création occidentale depuis les premiers bijoux préhistoriques jusqu’à la conquête du Nouveau Monde et les débuts de Michel-Ange. Les planches, à proprement parler, sont scandées par deux chronologies – de l’Antiquité d’une part, du Moyen Âge et de la Renaissance de l’autre – et conclues par douze pages reproduisant d’incontournables chefs-d’œuvre, agrémentés de notules, ainsi que par un glossaire opportun.
Survol
Parce qu’elle essaie de balayer le spectre de la création occidentale, la bande dessinée est une somme de vignettes trop rapidement traitées. Le lecteur, qui découvre Toutankhamon page 31, rencontre la Victoire de Samothrace dix pages plus loin. Dans cette course folle, que retiendra un enfant âgé de neuf ans, dont les connaissances sont encore embryonnaires ? Parviendra-t-il à pénétrer l’art de la Mésopotamie quand, sur six pages, il reçoit les noms d’Uruk, d’Hammourabi et de Sumer ? À vouloir presque tout dire, ne rate-t-on pas le plaisir esthétique et le dessein pédagogique ? Sauf à réserver un tome à chaque période, comment être précis sans être expéditif ?
Du reste, chaque vignette est accompagnée de nombreuses lignes, comme si le texte, saturé de dates et d’éléments techniques, devait contrebalancer ce zapping imagé. Une nuance : ce survol bavard, s’il est contradictoire dans les termes, trahit néanmoins un désir de transmettre ; un effort louable pour donner à lire comme à voir, quitte à noyer un lecteur encore trop tendre pour recueillir tant d’informations éparses.
Simplicité
Plusieurs bandes dessinées ont, jusqu’à présent, et souvent avec succès, essayé de conter l’histoire de l’art aux enfants et aux adolescents. Certains l’ont fait en privilégiant l’inventivité du trait – ainsi Au fil de l’art de Gradimir et Ivana Smudja (Éditions Delcourt, 2012-2015) –, d’autres en plébiscitant l’humour – ainsi Cartoons, une histoire insolente de l’art de Peter Duggan’s (Flammarion, 2016) –, d’autres encore en proposant une Contre-histoire de l’art – ainsi celle de Christophe Girard (Éditions du point d’exclamation, 2007). Le présent ouvrage souffre de contradictions et d’indécisions : il entend évoquer tous les passages obligés, mais ne fait que les effleurer ; il veut trop en dire et, par conséquent, le dit trop vite ; il hésite entre la jolie pochade et la dimension scolaire (efficace, il eût été un parfait manuel à destination des écoles). Pour preuve, le dessin lui-même semble comme incertain. Ni licencieux ni mimétique, ni tout à fait illustratif ni tout à fait inventif, il enfante des images hybrides qui renseignent bien modestement sur l’œuvre originale, et ce malgré une intention descriptive.
Les quatre-vingt-seize pages de cette publication sont exemplaires en tant qu’elles rappellent combien l’histoire de l’art, à l’heure de sa modeste intégration dans les programmes scolaires, est une discipline complexe à mettre en récit(s) et combien les enfants méritent des discours parfaitement élaborés. Alors seulement la simplification apparaîtra-t-elle comme l’ennemie de la simplicité…
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L’Histoire de l’Art en BD
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Abonnez-vous dès 1 €Marion Augustin, Bruno Heitz, Casterman, 96 pages, 14,95 euros.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°695 du 1 novembre 2016, avec le titre suivant : L’Histoire de l’Art en BD