L’obsession du défunt Daniel Arasse pour le corps humain dans la peinture italienne donne lieu à un nouveau recueil de ses essais, où se distingue l’analyse des figures de Raphaël.
Depuis le décès de Daniel Arasse en 2003, nombre de ses écrits ont été édités, ses interventions radiophoniques, rassemblées dans Histoires de peintures en 2004 ou ses textes sur l’art contemporain, réunis dans Anachroniques en 2006. Les Éditions du regard publient aujourd’hui dix études parues entre 1980 et 2001 dans des actes de colloques scientifiques, des numéros thématiques de revues ou des catalogues d’expositions monographiques.
Des travaux « extrêmement difficiles d’accès, voir introuvables », selon Maurice Brock, spécialiste d’Arasse qui préface l’ouvrage. Si l’on peut retrouver certains de ces textes en quelques clics sur Internet, la réunion de ces essais, qui traitent tous du corps dans la peinture de la Renaissance italienne (thème de prédilection s’il en est pour Arasse) n’en est pas moins tout à fait pertinente. Les trois essais concernant les figures féminines de Raphaël méritent notamment d’être lus les uns à la suite des autres. Ils condensent certains des aspects de la méthode arassienne. Les corps y sont présentés comme des objets de séduction (profanes ou spirituels) destinés à un spectateur dont la parole est convoquée, non par intérêt pour l’histoire du goût, mais parce que l’accueil que suscite un tableau peut être instructif pour en comprendre le sens.
Sous le charme de la « Fornarina »
Comme à son habitude, Daniel Arasse reste très attentif aux « écarts », sortes d’anomalies qui révèlent, au moment où l’artiste transgresse les normes et les règles (d’un modèle iconographique défini par exemple), sa subjectivité et sa singularité dans le paysage artistique. La Fornarina tient un rôle particulier dans les études raphaëlesques d’Arasse. En 1983, l’historien de l’art étudie la fortune critique de ce tableau figurant une jeune femme à mi-corps ne correspondant ni au genre du portrait , ni à celui de la Vénus. Cette brune à la poitrine dénudée sera tantôt considérée comme laide, tantôt séduisante par ceux qui l’ont décrite à travers les siècles. C’est que, porteuse de petites imperfections, elle s’écarte de la beauté idéale dont Raphaël fut un des maîtres reconnus. Daniel Arasse identifie un projet de séduction, d’érotisation dans la démarche de Raphaël lorsque ce dernier peint cette « Vénus avec effet de réel ». Au point que la légende va finir par reconnaître (à tort) dans ce tableau le portrait de la petite boulangère (fornarina) pour laquelle le peintre serait mort d’amour. Raphaël se serait livré à un travail de souillure par rapport à son type idéal, qui ferait de La Fornarina une femme moins « belle » que ses sœurs en peinture, mais plus désirable.
En 2001, l’historien cite Georges Bataille qui, dans les pages de L’Érotisme associe « désir sexuel et enlaidissement (relatif) de la beauté désirée ». En insérant des déformations exprimant l’attraction physique qu’il éprouve pour la jeune femme, Raphaël renoncerait délibérément à sa caractéristique majeure : la grâce (grazia), sorte de perfection esthétique et morale sur laquelle Daniel Arasse a disserté en 1984. L’ouvrage permet ainsi de continuer à mesurer l’évolution de la pensée du grand historien de l’art à travers le temps.
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Les caprices de la séduction
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Abonnez-vous dès 1 €Daniel Arasse, Désir sacré et profane, le corps dans la peinture de la Renaissance italienne, 2015, Éditions du regard, 252 p., 29,50 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Les caprices de la séduction