Art comme France
La bibliographie concernant l’art moderne en France n’est pas si abondante que l’on pourrait croire. On devait accueillir avec bienveillance et intérêt ces deux volumes, qui couvrent la période de 1945 à aujourd’hui.
Cependant, le parti pris éditorial est trop prudent pour combler le manque : une suite de monographies plus ou moins abouties ne saurait en effet se substituer à une réelle analyse des conditions dans lesquelles l’art français a dû se retourner et se reprendre au lendemain de la guerre. Dans le premier volume couvrant la période 1945-1960, Alain Bonfand cite Gaëtan Picon d’abondance. Dans le second, dont l’objet, de 1960 à 1945, est par définition plus difficile à traiter, Claude Minière rend hommage au rôle joué par les poètes.
- Alain Bonfand, L’art en France 1945-1960, Nouvelles éditions françaises, 232 p., 650 F.
- Claude Minière, L’art en France 1960-1995, Nouvelles éditions françaises, 232 p., 650 F.
Modigliani en chair et en os
Au-delà de la légende du rapin moderne et maudit ("Le vrai créateur n’a que faire de la légende qu’il a suscitée malgré lui"), Pierre Durieu rend compte du cheminement artistique de ce peintre et sculpteur dont les innombrables visages aveuglés gardent tout leur mystère. De La Juive de 1907 à L’Autoportrait de 1919, quarante-huit tableaux sont commentés dans cet album.
- Pierre Durieu, Modigliani, Éd. Hazan, 144 p., 179 F.
Géographie de l’art
Avec 160 cartes, de la Grèce Antique à l’Amérique, l’Atlas de l’art occidental ne prétend pas avoir réponse à tout : il faut plutôt le considérer comme un outil de documentation complémentaire, un usuel d’appui aux ouvrages d’histoire. Il présente avec clarté les lieux majeurs de l’art en Europe et aux États-Unis (pour la période moderne), et les rapports éventuels qu’ils ont entretenu les uns avec les autres. Sans doute, tous les sujets ne se prêtent pas avec un même bonheur à l’entreprise cartographique.
Mais une bonne carte vaut parfois mieux que de longs discours quand il s’agit de mettre en valeur la diffusion de l’art islamique ou viking, quand il s’agit des voyages d’artistes à la Renaissance ou au dix-huitième siècle. Nécessairement limitée, l’iconographie remplit efficacement son rôle de signal et de rappel, tandis que l’index ne néglige aucune des bourgades qui, à un titre ou un autre, ont pu compter dans l’histoire de l’art.
- John Steer et Anthony White, Atlas de l’art occidental, (édition française établie pas Thierry Delcourt et Philippe Rouillard), Éd. Citadelles & Mazenod, 366 p., 350 F.
Réemploi de Genet
Publiés à plusieurs reprises, et notamment intégrés à ses Œuvres complètes, les textes de Jean Genet sur Rembrandt font aujourd’hui l’objet d’une réédition dans la collection "L’art et l’écrivain". Nul doute que Genet soit un immense écrivain, nul doute que ses vues sur le maître flamand aient un grand intérêt qui demeure intact. Pourtant, ce livre semble parfaitement inutile, à moins qu’il n’ait été conçu comme cadeau de Noël idéal. À moins que l’éditeur n’ait jugé qu’il n’y a pas d’écrivain contemporain susceptible de s’acquitter d’un essai comparable, à moins encore qu’il n’ait voulu réduire un texte dérangeant à la simple illustration des images.
- Jean Genet, Rembrandt, Éditions Gallimard, 96 p., 195 F.
Pour Naples
Régis Debray publie un pamphlet bizarrement intitulé Contre Venise, comme s’il avait craint de parler de la seule ville qu’il aime en Italie, Naples. L’antagonisme supposé irréductible qui les sépare nourrit la mauvaise humeur et le dépit de l’auteur, qui ne voit sur la lagune que décadence et naufrage. Trop d’hommes politiques français hantent les lieux ("dans un pêle-mêle donjuanesque et las, un vieux Prince de gauche venait y rêver…"), et Debray répugne du coup à imaginer ses véritables héros (Mao ou le Che), absorbé sur le Rialto dans la contemplation des eaux fangeuses. Quelque chose laisse entendre, pourtant, que Venise est la victime arbitraire de sa sainte et légitime colère contre le touriste hagard qui envahit la planète.
- Régis Debray, Contre Venise, Éditions Gallimard, 80 p., 60 F.
L’humanisme de Chastel
Publié pour la première fois en 1963 sous le titre L’Âge de l’humanisme, ce texte de Chastel, qui s’était assuré la collaboration complice de Robert Klein, est la meilleure introduction qui soit à la Renaissance. "Le vaste processus de ce que l’on a nommé assez vaguement la Renaissance (en acceptant la dominante culturelle), comporte une transformation en profondeur des structures économiques et sociales." Clair et érudit, le panorama d’André Chastel embrasse le foisonnement de la période avec une aisance et une hauteur de vues remarquables. Cette édition donne, sous l’ordre alphabétique, une iconographie de base, avec des notices qui, comme la bibliographie, auraient gagné à être actualisées.
- André Chastel et Robert Klein, L’humanisme, L’Europe de la Renaissance, Éd. Skira, 230 p., 250 F.
Défense et illustration de l’art juif
L’art juif existe-t-il ? L’interdit biblique concernant la représentation de Dieu, d’une part, et la dispersion du peuple juif d’autre part, ont conduit certains à lui nier une existence objective. Non seulement l’architecture du Temple mais aussi ses représentations constituent un vaste corpus d’œuvres, mais les rapports tôt entretenus par les juifs avec la culture des pays où ils émigrèrent ont donné lieu à des développements originaux que l’on peut reconnaître jusqu’à l’époque contemporaine.
Citant Marcel Proust, Gabrielle Sed-Rajana affirme avec raison qu’un style est moins affaire de technique que de vision. Des premières œuvres architecturales et sculpturales du xive siècle avant notre ère jusqu’à Chagall, ce volume offre une précieuse synthèse, qui est cependant un peu expéditive et confuse en ce qui concerne l’art moderne, et singulièrement l’abstraction. On trouvera en annexe un inventaire illustré des principales synagogues dans le monde. Les éditions Abbeville publient, quant à elles, un ouvrage qui analyse l’esthétique de la synagogue à travers les âges et les pays.
- Sous la direction de Gabrielle Sed-Rajana, L’Art juif, Éd. Citadelles-Mazenod, 636 p., 1 180 F.
- Neil Folberg et Yon Tov Assis, La synagogue à travers les âges, Éd. Abbeville, 176 p., 350 F.
L’architecture en dessins
Ci-devant directeur des Musées de Strasbourg, actuellement professeur d’histoire de l’art dans l’université de la même ville, Roland Recht avait organisé il y a quelques années une exposition sur les bâtisseurs de cathédrales gothiques. Prenant acte du renouveau d’intérêt pour le dessin d’architecture, il souligne le caractère novateur du gothique quant à la technique d’élaboration et l’inévitable promotion de l’architecte comme auteur. Le dessin, jusque-là rustique, a pour fonction de fixer la forme du projet pour les tailleurs de pierre, mais surtout pour les commanditaires, qui ne se contentent plus d’approximations ou de déclarations d’intentions. Des Carnets de Villard de Honnecourt aux projets utopiques de Boullée, Roland Recht propose une analyse à la fois concise et pénétrante du rôle du dessin.
- Roland Recht, Le dessin d’architecture, Éd. Adam Biro, 160 p., 395 F.
Les peintres à l’écrit
Jean Dubuffet fut aussi prolifique comme peintre que comme écrivain. Deux imposants volumes avaient déjà été publiés en 1967, du vivant de l’artiste – deux autres paraissent aujourd’hui, dans une édition établie par Hubert Damisch. Elle reprend des textes épars, dont certains sont depuis longtemps célèbres comme Asphyxiante culture, où Dubuffet réglait quelques comptes avec une férocité et un humour désarmants.
Figurent, outre les textes publiés dans des revues, des fragments littéraires et des lettres inédites qui complètent fort à propos le visage du défenseur de l’art brut. On relira aussi avec intérêt la correspondance entretenue avec Witold Gombrowicz en 1968 et 1969. Rien de tel que les échanges vifs et francs de ces deux hommes en colère, qui se reconnurent tardivement comme frères. André Masson, quant à lui, avait quarante ans lorsqu’il répondait aux questions de Georges Charbonnier devant les micros de la RTF, en 1957.
Ces divagations, où le peintre ne mâche pas beaucoup plus ses mots que Dubuffet, se lisent mais s’écoutent aussi, puisque deux CD-audio restituent l’entretien. Signalons encore la publication des écrits de Joan Miró, dans laquelle on lira quelques lettres (à Picasso, Michel Leiris) et des entretiens avec le même Georges Charbonnier, ou encore, en 1970, avec Margit Rowell.
- Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, Éd. Gallimard, Tome 3, 560 p., 200 F, Tome 4, 700 p., 250 F.
- Jean Dubuffet et Witold Gombrowicz, Correspondance, Éd. Gallimard, 78 p., 65 F.
- Georges Charbonnier, Entretiens avec André Masson, André Dimanche éditeur, 128 p. et deux CD, 450 F.
- Joan Miró, Écrits et entretiens, Daniel Lelong éditeur, 352 p., 180 F.
Rome toujours
L’histoire de l’art est souvent affaire de rhétorique, comme l’avait si bien compris Malraux. S’agissant de Rome, on ne dira pas qu’elle est caractérisée par un style unique, mais que sur l’étendue des siècles, on doit dégager des variantes, des tendances plus ou moins divergentes que le cosmopolitisme rendait inévitables. Professeur émérite à la Sorbonne, Robert Turcan propose une synthèse aussi ramassée que possible, de 450 avant J.-C. jusqu’au quatrième siècle de notre ère, de la Louve du Capitole à la première basilique Saint-Pierre au Vatican, qui marque la fin de l’Empire et l’intégration définitive de Rome dans la chrétienté.
- Robert Turcan, L’art romain dans l’histoire, Éd. Flammarion, 416 p., 495 F jusqu’au 31 janvier, 595 F à partir du 1er février.
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Les Brèves; Art comme France, Modigliani en chair et en os..
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Les Brèves; Art comme France, Modigliani en chair et en os..