« Il faudrait pouvoir montrer les tableaux qui sont sous les tableaux. » Cette phrase énigmatique que nous avons reçue de Pablo Picasso, prise ici hors de tout contexte, nous renvoie à l’effet palimpseste de la peinture, l’effet de superposition de son tracé dans le temps, couche après couche, et presque dans l’épaisseur du pigment.
Un espace de maturation d’avant le monde de l’œuvre, à la fois dans le cadre de la toile et dans le temps de son auteur. L’artiste aurait voulu le mettre à jour. Cet effet recherché correspond à une quête d’origine, de généalogie, de matrice, qui fascine quiconque s’est trouvé un jour saisi par cet étrange sentiment de proximité, de révélation ou de filiation qui nous connecte à une œuvre particulière, y ajoutant quelque chose d’infiniment mystérieux. Nous en retrouvons, dans le domaine littéraire et par la magie de la trace matérielle de l’écriture, le joyau entier dans l’écrin des manuscrits. La question demeure, d’un trait à un autre, la plume est-elle à l’écriture ce que le pinceau est au tableau ? Quand le tableau tient en lui seul très matériellement le support d’une image, quoi de plus immatériel, de moins tangible, que l’écriture ? Présence dans l’absence, modulation de la voix sans l’expression d’un son, elle matérialise au sens le plus abstrait du terme l’extrait d’une pensée. C’est manuscrite, tracée de main d’humain, qu’elle se livre à nu dans son acte de création, en même temps qu’elle nous révèle en son sein l’existence charnelle de son créateur. Son empreinte s’exprime dans les courbures du tracé, celles qui permettraient au graphologue d’en tirer un savoir sur son caractère, et plus encore dans ses griffonnages, collages, ratures, annotations, ses repentirs, ses prières d’insérer. Et plus encore dans ses hors-texte, ses dessins, ses plans, ses espaces et ses vecteurs. Toutes ces traces de la mécanique propre à la construction d’une trame, d’une forme, de cet objet final que nous tenons pour acquis. Car face à l’œuvre qui l’émeut, l’humain se tient tout entier dans son besoin de sens, d’une présence en intimité, et dans sa quête, aux origines de la création, de toute trace d’une intention.
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Le tranchant du fer, l’étincelle du choc et l’âme du forgeron
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°750 du 1 janvier 2022, avec le titre suivant : Le tranchant du fer, l’étincelle du choc et l’âme du forgeron