C’est un saxophone qui avance sur la pointe des pieds, d’un pas mal assuré. Le piano gronde, comme une menace.
Les marteaux frappent les cordes les plus épaisses, les plus graves, les plus viriles. Le saxophone fragile continue, il insiste, il a peur mais il avance. Apparaît une trompette, qui semble accompagner sa mélodie ; elle aussi semble timide, mais elle est amicale et visiblement rassurante. Les deux sont bientôt à l’unisson et, d’un seul coup, tout s’apaise. L’harmonie règne. Le piano recule. La menace avec lui. Quelques notes de guitare, limpides, c’est la lumière et l’assurance retrouvée… Louise est le premier morceau du nouvel album d’Émile Parisien, saxophoniste aventureux ayant étudié le jazz dès l’enfance au collège de Marciac, dans l’aura de ce grand festival de jazz qui l’a, depuis, plusieurs fois invité. C’est aussi le titre de ce disque dont il a écrit la musique pendant le confinement du printemps 2020, qu’il a vécu auprès de sa famille, une période marquée par différentes figures maternelles. C’est pourquoi, sans doute, son écriture est si intime. De son propre aveu, cet album est « une ode à la mère ». À sa propre mère, mais aussi, plus largement, à la maternité. Émile Parisien n’a pas 40 ans. Louise Bourgeois en avait plus du double lorsqu’elle a créé Maman, Mum ou Mother, son œuvre sans doute la plus célèbre : une araignée géante qui l’a fait connaître d’un large public, et qu’elle présentait comme un hommage à sa propre mère. « L’araignée est une ode à ma mère. Ma mère était aussi intelligente, patiente, utile, raisonnable, indispensable qu’une araignée. » Mais toute son œuvre était habitée par la présence rassurante de cette mère, que son père avait si mal traitée. « Les hommes sont fous, les femmes sont tristes. » Comme une araignée, fragile et forte, malgré la maladie, malgré les trahisons, Joséphine Bourgeois tissait, elle réparait les tapisseries anciennes dans l’atelier de restauration de son mari. Sur le sexe des anges – certains en ont un, paraît-il –, elle tissait des grappes de raisin. Toute sa vie, dans tout son travail, comme son araignée de mère, Louise Bourgeois a tiré un fil, et c’était toujours le même. Ce fil de la maternité qu’Émile Parisien semble avoir saisi à son tour, dans sa grande familiarité avec l’œuvre de l’artiste franco-américaine. Il parle à son sujet d’une inspiration aussi bien « visuelle » que « psychologique et mentale ». « Mes émotions sont trop grandes pour moi, expliquait Louise Bourgeois. Alors elles m’embêtent et je dois m’en débarrasser. » Elle en faisait des œuvres physiques. Émile Parisien en fait de la musique. Fragile et forte.
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Le souffle de Louise Bourgeois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Le souffle de Louise Bourgeois