Dans Debout le roman-photo !, Grégory Jarry ne mâche pas ses mots.
La situation en France de ce moyen d’expression, qui fait l’objet d’une exposition au Mucem [lire p.92], « se trouve aujourd’hui dans une impasse ». Le manifeste de cet auteur de bande dessinée et de roman-photo s’avère toutefois moins un diagnostic étayé qu’un appel intéressant à la mobilisation « pour explorer cet espace vierge », matrice « de la prochaine avant-garde ». Les éditions FLBLB, qu’il a créées en 2002 à Poitiers avec le dessinateur Otto T (pseudonyme de Thomas Dupuis), lui font, il est vrai, la part belle. Un des derniers ouvrages est d’ailleurs un roman-photo de Grégory Jarry, Ça va pas durer longtemps mais ça va faire très mal [104 p., 15 €], récit burlesque autour d’une déclaration de guerre d’un groupuscule contre les dirigeants de la planète. Les dialogues puisent dans la langue courante leurs expressions, et la photographie, vecteur de narration, se veut captée sur le vif sans aucune recherche plastique. Au fur et à mesure, on se prend au jeu.
Publié en janvier 2018, Le Syndicat des algues brunes d’Amélie Laval [FLBLB, 188 p., 20 €], illustratrice de métier, s’inscrit dans la même veine pour raconter l’investigation à Marseille d’une jeune championne de Viet vo dao à la recherche de son père. De fait, le roman-photo fictionnel trouve chez FLBLB une attention qu’il ne trouve pas chez d’autres maisons d’édition, contrairement au récit documentaire à la dynamique aux ramifications plus éclatées rassemblant autant auteurs de BD et illustrateurs que photographes professionnels et éditeurs.
Gens de France de Jean Teulé, chez Casterman, a été le premier à ouvrir la voie en 1988 avec son carnet de route à la rencontre des oubliés des médias, suivi un an tard plus tard de Gens d’ailleurs, toujours chez le même éditeur. Trente ans plus tard, L’Illusion nationale de l’historienne Valérie Igounet et du photographe Vincent Jarousseau [Les Arènes, 168 p., 22,90 €] est née dans de tout autres circonstances. C’est Patrick de Saint-Exupéry, cofondateur de la revue XXI, qui, en découvrant leur enquête au long cours sur les électeurs de trois villes du Nord gérées par le Front national, a eu l’idée du montage du sujet par bandes photographiques de reportage avant que Laurent Muller des Arènes, éditeur de XXI, impulse le livre. Une première pour la maison d’édition consolidée par un succès en librairie avec 8 000 exemplaires vendus en six mois et un deuxième tirage à 3 000 exemplaires.
Vincent Jarousseau le reconnaît : « L’Illusion nationale, publiée sous la forme classique du livre photo accompagné d’un texte, n’aurait pas connu un tel écho. » La forme du roman-photo apporte une instantanéité, une véracité ou du moins une réalité palpable sans équivalent. Carlos Spottorno et Guillermo Abril, les auteurs de La Fissure [Gallimard Bande dessinée, 172 p., 25 €], en ont pris la mesure quand ils se sont trouvés confrontés à l’édition de leur enquête menée aux frontières de l’Europe, World Press Photo 2015. Le résultat est tout aussi convaincant, et le succès en librairie, là encore, montre l’engouement des lecteurs. L’intérêt porté par Gallimard Bande dessinée à cet ouvrage, publié d’abord en Espagne, illustre le potentiel de ce mode de narration.
Un mouvement s’amorce, certes timide, mais sans frontières. Le Destin tragique d’Odette Léger et de son mari Robert de François Bouton au Bec en l’air [116 p., 28 €] s’est construit à partir des photographies prises par François Bouton pendant près de cinquante ans du salon de coiffure de ce couple situé juste en face de chez lui à Montceau-les-Mines. Le photographe est amateur, et l’ouvrage un récit émouvant. Rocky Shalatoune et les Poilus d’Orient, son prochain livre à paraître en septembre 2018, toujours au Bec en l’air, nous entraînera dans un autre univers décalé, celui de ce groupe de rock constitué en 1975 et dont François Bouton fait toujours partie. On s’en régale d’avance.
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Le roman-photo s’émancipe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°709 du 1 février 2018, avec le titre suivant : Le roman-photo s’émancipe