Michael Spens pose dans « Paysages contemporains » un regard lucide et pragmatique sur notre environnement.
Depuis un quart de siècle environ, le paysage, voire le « paysagisme » – néologisme qui pourrait avoir pour signification « l’art de modeler le paysage » –, ne cesse de prendre de l’importance. À des années-lumière de la bucolique idée de « nature domestiquée » héritée du XVIIe siècle, le paysage a aujourd’hui acquis un statut autrement plus sensible : une portée directement politique et sociale, appréciable non seulement à l’échelle de l’architecture et de l’urbanisme, mais plus globalement à travers l’aménagement du territoire en son entier. Les enjeux du paysage sont donc l’une des préoccupations majeures de notre société. Or l’urgence de ces enjeux ne semble, pour l’heure, pas beaucoup émouvoir la classe politique, laquelle affiche au mieux une incapacité d’agir notoire, au pire un profond mépris. L’ouvrage de Michael Spens, intitulé Paysages contemporains, devrait de ce fait en faire réfléchir plus d’un.
S’appuyant sur l’étude d’une trentaine d’exemples glanés à travers la planète, l’auteur montre comment les professionnels du paysage affichent « une attitude réparatrice en même temps que visionnaire sur la vie de leurs concitoyens ». Ainsi, ces dix dernières années, le paysage serait devenu « le lieu où se transforme ce qui a été dévasté ou abandonné par les hommes ». Pour conter cette métamorphose du territoire, qui prend évidemment les formes les plus diverses, Michael Spens a donc choisi de décortiquer 32 aménagements récents (tous ces projets ont été réalisés entre 1988 et 2002) : 19 en Europe, 6 au Japon, 4 aux États-Unis, 2 en Australie, 1 en Israël.
De l’usine au cimetière
Après une introduction plutôt fouillée – « du jardin clos du Moyen Âge à la conception environnementale postindustrielle des artistes du Land Art » –, Spens rend compte de chaque réalisation à travers une analyse précise, qu’accompagne une multitude de plans, dessins et photographies. Les approches sont évidemment diverses. L’auteur a choisi de les classer en quatre grandes thématiques. « Parcs », comme son nom l’indique, réunit précisément huit exemples de jardins créés in extenso, en ville ou en pleine campagne. « L’architecture comme paysage » dévoile une série d’édifices qui s’inspirent de la physionomie propre d’un site et de ses environs immédiats. « Jardins paysagers » montre des jardins, urbains ou ruraux, conçus en symbiose avec le paysage environnant. Enfin le dernier chapitre, « Interventions urbaines », se focalise sur l’avènement du fameux mobilier urbain, en particulier celui qui n’oublie pas la « mémoire des lieux ».
La sélection est assurément judicieuse et étonnamment ouverte : d’un cimetière – celui créé par Enric Miralles et Carme Pinós à Igualada (Espagne) – à une usine de traitement des eaux usées – celle de West Point, à Seattle (État de Washington), conçue par Angela Danadjieva –, en passant par un vaste parc public, Emscher Park, réalisé par Peter Latz entre 1993 et 2001 à Duisburg (Allemagne), au milieu des vestiges d’une gigantesque aciérie.
À Olomouc, en République tchèque, Petr Hajek, Jaroslav Hlasek et Jan Sepka ont dessiné un mobilier urbain – parking à vélos, grilles d’égout, bancs, lampadaires – avec lequel la Place haute a été aménagée de manière extrêmement subtile. À Riversdale [West Cambewarra (Nouvelles-Galles du Sud)], le Centre d’éducation Arthur & Yvonne Boyd, édifié par l’architecte Glenn Murcutt, s’insère à merveille dans le site, offrant notamment du réfectoire une vue imprenable sur la rivière Shoalhaven. À Jérusalem, Lawrence Halprin a déroulé une paisible promenade, bordée évidemment d’oliviers. Tandis qu’à Amiens, Jacqueline Osty a développé le parc Saint-Pierre sur le thème de l’eau et du passé amiénois, entre hortillonnages, maraîchers, pêcheurs et tisseurs de satin.
Dernier exemple fort : le réaménagement paysager de deux péninsules artificielles – Borneo et Sporenburg – du port d’Amsterdam, réalisé entre 1996 et 2001 par l’agence West 8, sous la houlette du célèbre paysagiste Adriaan Geuze. Michael Spens explique comment le paysage est devenu un enjeu primordial pour les édiles amstellodamois : « C’est peut-être la première fois au monde qu’une agence de paysagistes a remporté un concours d’urbanisme. Outre la responsabilité du programme, elle a bénéficié de la confiance absolue des autorités locales. » Bref, l’auteur pose un regard lucide – et, en outre, très pragmatique – sur notre environnement… et cela fait du bien.
MICHAEL SPENS, PAYSAGES CONTEMPORAINS, éd. Phaidon, 2005, 240 p., 300 ills. couleur, 75 euros, ISBN 0-7148-9394-3.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le paysage tel qu’il est
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°215 du 13 mai 2005, avec le titre suivant : Le paysage tel qu’il est