Le Musée à l’œuvre

Le musée est devenu un élément incontournable du paysage artistique, connaissant dans la seconde moitié du XXe siècle un essor sans précédent. Entre fascination et répulsion, l’institution laisse rarement indifférent. Au cœur de nombreuses polémiques, mais aussi source d’inspiration, le musée serait-il devenu un médium à part entière ? L’ensemble de l’ouvrage démontre brillamment comment les qualités esthétiques de la scénographie muséographique ont offert de multiples pistes de réflexions aux artistes. Les deux premiers chapitres dressent un riche panorama des analogies formelles héritées des méthodes de classement, d’inventaire ou de stockage : de la fameuse Boîte-en-valise de Marcel Duchamp au musée de Marcel Broodthaers, le concept global de musée réapparaît de façon récurrente. Christian Boltanski et ses présentations de réserves ou d’archives, ayant appartenu à des personnes disparues, côtoient Damien Hirst et ses mégots de cigarettes placés sous vitrine. Volontairement éclectique dans sa sélection, l’auteur met sur un plan d’égalité des artistes plus ou moins confirmés, ce qui occasionne d’heureuses découvertes, même si l’on peut regretter quelques grands absents hexagonaux comme par exemple Raymond Hains, Henri Cueco ou Gérard Gasiorowski dont les pratiques quasi obsessionnelles d’archivage et de « collectionnite aiguë » auraient sans doute mérité leur place dans ce paysage. Se référant plus ou moins directement à des présentations surannées, héritées des cabinets de curiosités ou des scénographies du XIXe siècle, nombre de créateurs s’approprient, en les réinterprétant, la mémoire des musées. La critique n’étant jamais bien loin de la citation et de l’imitation, le reste de l’ouvrage, qui constitue peut-être la partie la plus intéressante car la plus aboutie et la plus claire, analyse les relations ambiguës qui se sont progressivement tissées entre les créateurs et les musées à partir des années 80. Dans une période de contestation généralisée, les artistes remettent en question le rôle du musée, sa vision tronquée de l’histoire et de la culture, ainsi que ses modes de fonctionnement. Ainsi, transformée en guide de musée, l’artiste Andrea Fraser parodie les actions pédagogiques à destination des publics en faisant visiter les toilettes ou en diffusant un discours aberrant sur les œuvres exposées. Loin de fermer leurs portes à de tels ingrats, les institutions paraissent paradoxalement friandes de ce type d’attitude, aimant se faire bousculer et démontrant par la même occasion leurs capacités d’ouverture et d’autocritique. La place grandissante faite aux créateurs au sein du musée atteint son apogée avec l’apparition de l’artiste curateur : le conservateur va jusqu’à déléguer son pouvoir, en lui confiant le soin d’apporter une nouvelle lecture aux collections. En étudiant cette confusion des rôles, l’auteur montre parfaitement comment d’une relation à sens unique on est progressivement passé à un rapport de réciprocité, chacun des protagonistes ayant besoin de l’autre. Principal atout de cet ouvrage, les illustrations élargissent le discours en offrant un corpus d’images en sus des exemples cités dans le texte principal. Chaque photographie est, en outre, accompagnée d’une courte notice permettant de situer les enjeux de l’œuvre présentée. Mais s’il est question d’œuvre d’art tout au long de ce livre, il s’agit bien plus encore d’esquisser un portrait à multiples facettes du musée d’aujourd’hui, et de montrer comment il est resté un élément stimulant pour la création contemporaine. Cet amour pour le musée que l’on sent transparaître entre les lignes, James Putnam le fait partager sans complaisance.