L’« Histoire de la laideur » d’Umberto Eco
révèle la complexité des valeurs esthétiques et morales occidentales
Quatre ans après L’Histoire de la beauté, Umberto Eco s’attaque au revers de la médaille, en observant la laideur dans tous ses états. Devant l’absence de définition du concept de la laideur à proprement parler, Eco propose de fonder ses recherches sur les écrits philosophiques et littéraires comme sur les images à travers les siècles, en prenant toutes les précautions d’usage. Son étude se limite à l’Occident, pour s’assurer une bonne compréhension du sujet, ses analyses reposant sur le postulat selon lequel les « goûts communs [correspondent] peu ou prou aux goûts artistiques de leur temps ». Eco n’est pas le premier à se pencher sur la question. L’auteur cite ainsi L’Esthétique du laid de Karl Rosenkranz, publié en 1853, qui établit un lien entre la laideur et le mal moral. Le penseur italien démontre quant à lui qu’en dépit d’une vision simpliste qui voudrait qu’elle se borne à être le contraire de la beauté, la laideur est une notion complexe et multiple.
En authentique auteur pluridisciplinaire, Eco fait appel aux philosophes (Platon, Aristote, Voltaire, Nietzsche, Hegel...), aux scientifiques (Darwin), aux écrivains (Hugo, Shakespeare, Rabelais...) et aux poètes (Ovide, Dante, Baudelaire...), mais aussi aux Écritures pour donner corps à son analyse. L’entreprise ne constitue-t-elle pas un défi pour un non-historien de l’art qui doit ici s’affronter à un corpus iconographique immense ? Des reliefs d’un temple sicilien du VIe siècle av. J-C., illustrant la Méduse sur le point de se faire décapiter, aux Enfants pendus de Maurizio Cattelan en 2004, en passant par les incontournables scènes apocalyptiques de Jérôme Bosch ou de Matthias Grünewald, la laideur revêt des atours souvent inattendus, si bien qu’elle en devient insaisissable. Ou comment un portrait de Hitler, idéalisé en armure d’argent sur un cheval, un drapeau nazi au poing, n’est pas laid en soi mais peut donner des frissons pour tout ce qu’il évoque.
L’irrésistible beauté du chant des monstres marins que sont en réalité les sirènes dans L’Odyssée d’Homère, la beauté intérieure d’un Socrate au physique réputé ingrat, démontrent le caractère inextricable du rapport entre la laideur et la beauté. Qu’elles soient esthétiques, politiques, morales ou sociales, ces valeurs se nourrissent mutuellement jusqu’à devenir indistinctes. Cependant, Serge Gainsbourg ne disait-il pas : « La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu’elle ne disparaît pas avec le temps » ?
UMBERTO ECO, HISTOIRE DE LA LAIDEUR, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, traduit du grec et du latin par François Rosso, Flammarion, 2007, 456 p., nombreuses illustrations couleur, 39,90 euros, ISBN 978-2-0812-0265-8.
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Le Laid est beau, le Beau est laid
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Le Laid est beau, le Beau est laid