L’imposante étude de Paolo Baldacci porte exclusivement sur les premières années de Giorgio de Chirico, quand celui-ci, entretenant un rapport toujours plus complexe à la mythologie, en vient à définir les contours métaphysiques de son art.
Paolo Baldacci a publié voici quelques années, en collaboration avec Maurizio Fagiolo dell’Arco, un essai sur le Chirico des années vingt qui commence alors “un voyage à travers l’histoire de la peinture”. Cette monographie, bornée par sa date de naissance (en 1888 à Volo, en Grèce) et celle de son exposition à Rome en 1919, reprend avec un souci d’exhaustivité le dossier de la formation de la pensée et de l’art du peintre. Des travaux récents, auxquels l’auteur rend hommage, ont permis de reconsidérer sous un nouveau jour ces années cruciales, donnant en particulier de plus en plus d’importance au rôle joué par Alberto Savinio, à la fois le frère, l’ami et le double de Chirico.
L’auteur reprend les chapitres essentiels du roman familial des Chirico en Grèce, de fortunes en revers, mais souligne surtout la commune approche de la dimension mythique du pays par les deux frères. Le séjour à Munich, de 1906 à 1909, greffe une éphémère influence romantique sur la peinture encore incertaine du jeune homme, qui ne découvrira Nietzsche que plus tard. En s’appuyant sur les écrits autobiographiques, l’auteur insiste sur l’importance que revêt le philosophe allemand aux yeux du peintre, suggérant même une sorte d’identification. “La profondeur de Nietzsche, écrit-il, comme Chirico l’entend, refuse les notions de grandeur et d’idéalisme, et évite le mensonge du sublime”. La thèse de Baldacci, qui voit dans la peinture de Chirico “le fruit d’une pensée philosophique”, trouve ici son premier argument déterminant. La lecture de Schopenhauer et de Weininger n’aura pas moins d’influence sur l’orientation des recherches qui aboutiront à l’art métaphysique.
Le rôle du rêve
Alternant analyses de fond et commentaires de tableaux, l’ouvrage montre très bien la nature de la relation qui s’établit entre culture visuelle et culture philosophique. Chirico ne s’enferme pas dans les cercles successifs de la spéculation qui rendraient la peinture exclusivement théorique : le rêve va en quelque sorte lier et dissocier les univers visibles et intangibles. “Ce qui donc est ‘métaphysique’, écrit encore Baldacci, c’est l’absence de logique, le fondement ‘mythique’ du monde, où chaque mot et chaque forme sont un signe mystérieux doté de mille âmes et de mille visages. Et s’il existe un art capable de représenter cette équivalence métaphysique, ce n’est pas la musique” mais pour de Chirico, à un degré d’évidence tel qu’elle l’habitera désormais, la peinture. Déployant la même abondance des documents et une égale minutie dans ses analyses, Paolo Baldacci décrit ensuite les développements de la carrière du peintre, identifiant, dans un chapitre passionnant, les ressorts d’une stratégie culturelle qui va se heurter à l’incompréhension d’une Italie mieux rêvée que vécue.
Paolo Baldacci, Chirico, La Métaphysique 1888-1919, éd. Flammarion, 444 p., 595 F. ISBN 9-782080-125798.
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Le jeune Chirico
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Le jeune Chirico