L’éditeur britannique Booth-Clibborn propose de se plonger dans l’univers extrême du graphiste autrichien Stefan Sagmeister.
Beaucoup se sont mordu les doigts d’avoir raté, en octobre dernier, au Palais de Tokyo à Paris, la conférence que donnait le graphiste Stefan Sagmeister. Ils pourront se consoler grâce à l’éditeur anglais Booth-Clibborn qui a eu la bonne idée de rééditer la monographie intitulée Sagmeister, Made You Look, parue en 2001 mais rapidement épuisée. L’ouvrage, de petit format (24,1 x 17,2 cm), est un modèle d’introspection. Non seulement Sagmeister se met à nu, au sens propre comme au sens figuré, mais il raconte aussi le travail au quotidien du graphiste, avec une pointe d’ironie et une bonne dose d’humour. Le livre est divisé en cinq chapitres distincts : son enfance en Autriche – né en 1962, à Bregenz, il suivra les cours de la Hochschule für angewandte Kunst de Vienne –, son premier long séjour à New York – étudiant au Pratt Institute à Brooklyn –, son retour à Vienne, son séjour à Hong Kong – dans la grande agence de publicité Leo Burnett –, enfin, son retour à New York – d’abord auprès du légendaire Tibor Kalman, puis en ouvrant son propre studio.
Stefan Sagmeister montre évidemment les projets qu’il juge « bons », comme cette flopée de pochettes de disques (Lou Reed, David Byrne, Rolling Stones, Pat Metheny...). Mais il dévoile aussi, ce qui est plus rare pour une monographie, quelques « mauvais » travaux, comme ces packagings de cédéroms, aussi laids que des « boîtes de céréales ».
Scarifications
Au fil des pages s’étale un art qui mêle trompe-l’œil, jeux et « trucs » optiques en tout genre. On découvre aussi un Sagmeister qui aime assurément son corps, le triture à l’envi comme de la pâte à modeler, en fait le support du message. Dans une sorte de roman-feuilleton qui raconte ses rapports avec un client, il exhibe même ses fesses.
Lorsqu’il pend la crémaillère de son nouvel appartement-atelier, il compose un carton d’invitation sur lequel il pose nu avec un pénis démesurément allongé. Légende : « Il faut avoir des c… pour ouvrir sa propre boîte ! » Raffiné ! Mais son travail le plus célèbre reste sans aucun doute cette affiche réalisée pour une conférence qu’il a donnée en 1999, à Detroit (Michigan). On y voit le thorax de Sagmeister truffé de scarifications. Son assistant a tout simplement « gravé », à l’aide d’une lame de rasoir et huit heures durant, le texte d’annonce de l’événement. Loin de la perfection digitale, le designer met ici en avant « l’évidence physique du créateur ».
On ne lit pas un tel ouvrage du premier coup : il faut le reprendre et le tourner dans tous les sens pour dénicher encore un dessin ou une sentence dissimulés. Ici, écrite à la main et de travers, une remarque, tirée directement de son propre agenda-journal. Là, une citation d’un client, logée dans un « cadre » officiel. Sur les rectos des pages 137 à 215, dans un minuscule espace en haut à droite, s’échappe, à perdre haleine, un pauvre chien, qui finira par se faire trancher la panse...
Sont aussi présentées les délicates brochures et invitations aux défilés que Sagmeister a conçues pour la styliste (sa petite amie) Anni Kuan. « Il a ce désir enfantin de faire des surprises », dit cette dernière. Même si Sagmeister n’a, pour l’heure, pas trouvé de réponse à une question qui le taraude encore : le graphisme peut-il toucher quelqu’un au cœur ?
Ed. Booth-Clibborn (Londres), 2004, en anglais, 292 p., 56,95 euros. ISBN 1-86154-274-7. À noter : Une exposition consacrée à Stefan Sagmeister a lieu, jusqu’au 12 février, aux Silos, 7, avenue Foch, 52000 Chaumont. Tél. : 03 25 03 86 82.
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Le graphisme avec les tripes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Le graphisme avec les tripes