Confrères et disciples discernent une théorie de l’histoire de l’art dans l’œuvre de Daniel Arasse, évoquée lors d’un colloque en 2006 et objet d’une publication.
Trois ans après la disparition prématurée de l’historien de l’art Daniel Arasse, le colloque organisé en 2006 à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), à Paris, laissait de côté l’hommage vibrant à celui qui inspirait autant de fascination que de sympathie, pour dégager la cohérence d’une œuvre abondante et variée. La publication de Daniel Arasse, historien de l’art, qui réunit les communications de chercheurs et historiens de l’art, collègues, amis ou anciens étudiants de Daniel Arasse, présents à ce colloque, constitue donc un ouvrage apocryphe de référence. Son propos inavoué est d’énoncer une méthodologie arassienne de l’histoire de l’art, comme lui-même en aurait eu le projet avant de mourir, par un dernier livre plus théorique que les autres. La lecture de l’intervention de Diane Bodart, « Le reflet, un détail-emblème de la représentation en peinture », rend évidente l’existence d’une méthode arassienne ici mise en application par le disciple. La chercheuse démontre comment l’analyse du reflet (ce détail) révèle une conception de la représentation dans le contexte culturel de l’Italie au XVe siècle, interrogeant l’invisible à partir du visible, comme le résume Hubert Damisch. S’il n’a jamais signé de texte proprement historiographique, Daniel Arasse distille dans sa bibliographie les indices d’une théorie de l’art, affirme Bruno Nassim Aboudrar, « étroitement ordonnée à une théorie de l’histoire », et plus précisément « à la conception d’une histoire qui soit spécifiquement capable de l’œuvre ». Autrement dit, l’histoire de l’art définie comme une science (humaine), telle qu’Arasse en renouvelait le souhait en 2001 à l’Université de tous les savoirs (invité par Yves Michaud), étudierait « les comportements humains à travers les objets produits dans l’histoire ». Ce cheminement déductif de la peinture à son contexte de production et de réception – de l’œuvre à l’homme – repose sur l’aller-retour entre voir et savoir, l’un appuyant l’autre pour révéler ce qui ne se voit pas dans ce qui se voit.
Le plaisir pour principe
L’approche suppose d’instaurer un nouveau régime du voir qui remplace la traditionnelle contemplation pour l’observation. La technique garante d’une objectivité scientifique jette naturellement son dévolu sur le détail, catalyseur de l’invisible dans le visible, auquel Arasse consacrait un ouvrage phare en 1996 (1). À ce titre, l’article de Karim Ressouni-Demigneux est éclairant. Il relativise l’autorité scientifique du détail chez Arasse, en démontrant qu’il vaut tout autant comme embrayeur rhétorique, dans une pratique de l’histoire de l’art indissociable de la pratique du texte qui l’énonce. La restauration récente du Saint Sébastien d’Antonello de Messine contredit en effet l’étude menée par Daniel Arasse sur le tableau dans Le Corps et ses fictions (1983), qui concluait en distinguant un œil dans le nombril du saint… là où, finalement, il n’y a rien. Peu importe la nature fictive du détail, argumente Karim Ressouni-Demigneux, « cet excès d’imagination, ce rêve, reste, dans son erreur même, le moyen le plus efficace de penser le tableau d’Antonello ». La présence incongrue de l’œil est prétexte à poser une nouvelle énigme, point de départ des enquêtes heuristiques dans lesquelles Arasse a eu coutume d’embarquer ses lecteurs, sur les chemins du gai savoir. Si une théorie de l’art s’élabore dans les textes de Daniel Arasse, selon Guillaume Cassegrain, elle a le plaisir pour seul principe et véritable méthode. Cette envie de voir, jusque dans l’intimité de l’œuvre et au-delà de la peinture classique (quand Arasse se tourne vers Anselm Kiefer ou Cindy Sherman), cette envie de comprendre, de savoir, de transmettre, anima sans relâche l’esprit de l’historien de l’art, et donne encore à un large public l’envie de lire.
(1) Le Détail : pour une histoire rapprochée de la peinture, nouvelle publication chez Flammarion dans la collection « Champs arts », 2009
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Abonnez-vous dès 1 €INTRODUCTION DE DANIÈLE COHN, DANIEL ARASSE, HISTORIEN DE L’ART, INHA/éd. des Cendres, 2010, 319 p., 39 euros, ISBN 978-2-8674-2171-6
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Le gai (sa)voir